Drôle de fête ! La cérémonie de remise digitale des Trophées Gault&Millau, première du genre, avait un air un peu confiné, jeudi au Pré Catelan. Une atmosphère sous Covid, sans chefs ni paillettes contrairement à l’an dernier au Moulin Rouge et que n’avait bien sûr pas souhaitée le nouveau patron du guide, Zakari Benkhadra. Voilà pour l’entrée en scène de l’édition 2021 qui sera en vente jeudi prochain, au terme d’une année d’angoisse pour la restauration et paralysante pour ceux qui l’observent.
Côte d’Azur, le statu quo des toques
Cette édition n’oublie pas les engagements de l’époque (le sain, le naturel, l’éthique, le respect de la planète…) et joue la créativité et la sagesse avec le titre de «Cuisinier de l’Année» attribué à Christophe Hay (La Maison d’à Côté à Montlivault, Loir-et-Cher), qui succède à Alexandre Mazzia, promu en 2020 dans son restaurant AM, à Marseille.
Sur la Côte d’Azur, c’est le statu quo des toques, à tous niveaux. Le guide y respecte, comme dans les autres régions, un temps de solidarité avec une profession durement éprouvée par les périodes de confinement et de fermetures. Il apparait ainsi plus «bienveillant» qu’audacieux, ce qui est pourtant son Adn. Alors qu’à Saint-Rémy de Provence, Fanny Rey est, à juste titre, «Grand (e) de demain » et qu’à Marseille, à « La Femme du Boucher« , Laetitia Visse est l’une des «Jeunes Talents» de l’année, ce n’est pas aussi enthousiasmant dans le Var et les Alpes-Maritimes, du moins dans l’édition papier où les notes qu’avaient imaginées Christian Millau et Henri Gault, sont désormais abolies. Un changement difficile à comprendre quand la version numérique les conserve mais qui indique bien la révolution, déjà engagée, des années à venir.

Ainsi à Nice où le savoureux Chez Davia (ses barbajuans !) est invisible dans l’édition classique et chichement noté sur le site (11/20) et où Les Agitateurs, l’une des pépites de la nouvelle génération, est propulsé à deux toques mais un peu en plan (12/20) dans la version numérique. A Nice toujours, aucune nouvelle « papier » de L’Aromate de Mickael Gracieux, pourtant à 14,5/20, note de créativité méritée .
Bientôt les 109…
Rien encore sur ces jeunes pousses, Chabrol et Goupil, le premier repêché à 11/20, le second introuvable, comme le sont Le 44 et Côté Terroir ces jeunes tables d’Antibes où L’Arazur semble puni à 11/20. Dans le Var, on peut regretter l’absence des Etiquettes à Ollioules, des 3 Garçons à Draguignan, de L’Antre Nous à Lorgues ou encore de Cécibon et du Shardana à Bandol où, un ton gastronomique au-dessus, L’Olivier de Jérémy Czaplicki me semble sous noté à 12/20.

Mais le guide voit aussi juste à Villeneuve-Loubet où Eugénie Béziat, chef de La Flibuste (13/20), est la valeur montante de l’année, de même que Takayuki Kamiya (La Table de Kamiya, à 13,5) à Cagnes sur Mer.

A Toulon, en attribuant deux toques au Local de Thibaud Durix et une à Carré 2 Vigne (11,5) et Tables et Comptoir (12,5), ou au Castellet avec un sage 13/20 pour La Goguette de Maxime d’Orio… devenu chef à domicile depuis le printemps.


Pour y voir plus clair dans le bon équilibre entre tendances d’avant et mouvements d’aujourd’hui, et connaître la vraie feuille de route du guide jaune, il faudra attendre, en début d’année, la parution du 109 (Sang neuf bien sûr), annoncé par Marc Esquéré, directeur des guides et garant de la culture Gault&Millau. Un mini guide de la nouvelle génération ? Une séance de rattrapage ? Un complément d’enquête façon Fooding, alors que le guide Michelin, qui l’a absorbé, rendra son palmarès le 18 janvier ?…
Quel guide demain ?
Enfin, le plus important n’est peut-être pas la distribution des bons et mauvais points qu’on peut discuter à l’infini ou la manière dont le guide distingue ou rassemble les générations. La question est : quel guide pour quelle gastronomie demain ? Gault & Millau poursuit sa route qui n’est plus celle des années glorieuses et vient de vivre deux ans d’initiatives, de turbulences et d’incertitudes. Ainsi son rachat en janvier 2019 par GM Holding, propriété d’une famille russe et présidé par Vladislav Svortsov, la nomination comme directeur général du niçois Jacques Bally puis son éviction rapide, en septembre dernier et l’arrivée de Zakari Benkhadra ex directeur d’Alain Ducasse Education et notamment créateur du Salon de la Pâtisserie et de l’Institut Culinaire de France. L’expérience globale de ce professionnel sera précieuse pour indiquer le cap, en France et à l’international, clarifier les choix (éditions, diversifications…) et les priorités du guide dans un contexte économique périlleux pour tous les acteurs de la restauration. En attendant ces lendemains d’espoir, pourquoi ne pas noter, à mon tour, cette vieille connaissance qu’est le guide jaune ? Disons, 13,5/20. Pas si mal pour un débutant qui a fêté l’an dernier son 50e anniversaire…