
Comment ne pas aimer cette adresse ! Ouverte depuis un peu plus de trois mois par Thomas Guernion et Camille Burle, La Maison de la Pia est un restaurant singulier, une table-refuge en pleine nature à dix minutes du centre de Tende, un lieu fort et dépaysant au-dessus de la vallée de la Roya, dévastée en octobre 2022 par la tempête Alex.
C’est aussi le début d’une histoire à la fois audacieuse et réfléchie, d’un choix de vie à ma connaissance unique dans les Alpes-Maritimes et de la complicité avec des producteurs locaux de qualité (1). Vous qualifierez sa cuisine à votre guise, gastronomie de montagne, bistronomie d’altitude, table «différente»… mais ne craignez pas un registre pointu et minimaliste qui serait ici hors sujet.

Dans l’assiette, une certitude : les meilleurs produits de la haute Roya sont traités en seigneurs du terroir par Thomas, vingt-huit ans, natif de Vence. Formé à l’École Ferrandi où il a rencontré Camille, sa compagne, il a été initié par sa mère à l’art des pâtes (Maison Barale à Nice) et a rejoint pendant trois ans L’Arpège d’Alain Passard, pionnier trois étoiles de la gastronomie végétale. Camille, elle aussi à bonne école, a été sommelière au Lai’Tcha avec Adeline Grattard à Paris et deux ans à Nice au Canon , l’adresse-culte de Sébastien Perinetti, expert en accords mets et vins nature et infatigable chercheur de producteurs locaux.

A une heure et demi de Nice, La Maison de la Pia peut paraître une destination insolite et lointaine mais son environnement préservé et jusqu’à l’identité culturelle de la haute Roya valent incontestablement le voyage. Pour l’atmosphère, on aime, à l’instant de l’apéritif, le temps suspendu sur la terrasse au voile de canisses et la vue sur les montagnes, puis la salle à manger aubergiste et la cuisine de Thomas qu’il a aménagée à sa main et où il officie en solo. Enfin, aussi essentielle et premier élément du décor, la bibliothèque vitrée et sa collection de vins «nature» dans laquelle Camille puisera au moment d’annoncer, à la table, le détail des menus et l’inspiration du jour.



Dès les amuse-bouche, socca, tomates «ananas» du jardin et fleurs d’origan séchées, une délicatesse s’installe. L’assiette est généreuse, tel ce plaisir terre-mer, un risotto d’orzo (petites pâtes de blé), bouillon de veau d’Aubrac et crevettes sauvages de San Remo.

Une assiette de partage ? La voici, clé de voûte du menu avec les pâtes fraîches aux oeufs de la Ferme Lamentarghe, du vallon voisin, tomates, crème d’alpage et champignons « pieds de mouton ». Un plat précis, savoureux, quand on l’imaginait familier et désordonné, au hasard de la pasta. Puis la noix de veau d’Aubrac à la cuisson exacte, purée de carottes à l’harissa de La Brigue et potimarrons rôtis.


Les fromages sont – devinez – de la vallée de la Roya et il serait dommage de les ignorer : tomme de brebis brigasque, chèvre frais de Valérie, crémeux de Solange Pelissero… Enfin un dessert aux poires pochées au muscat, crème chiboust à la châtaigne de Saint-Dalmas de Tende, coulis prune et lavande, est une ultime douceur dans l’esprit de cette cuisine compréhensible et créative.


Et puis il y a l’hôtel, ou du moins son esquisse. En quelques marches taillées dans les restanques, on gagne deux dômes géodésiques aux chambres voyageuses et d’adorable confort. Camille et Thomas ont aménagé ces dômes mis au point par La Tanière à Mémé, entreprise spécialisée de Saint-Andéol dans le Vercors. Ils ont ainsi trouvé la formule magique pour offrir à leurs clients le spectacle d’un soir étoilé ou la fascination d’un ciel d’orage. Une réussite techno, la vue grand écran sur les montagnes et au matin, le petit déjeuner délicieux apporté par Camille avec pain au levain et farines anciennes, beurre fermier, miel, confitures, fromage de chèvre…


L’heure du petit-déjeuner, apporté par Camille (photo JG)

Le petit-déjeuner, gourmand et « local » (photo JG)
Faut-il alors quitter le littoral ou ses coulisses et monter à Tende pour découvrir ce nouveau-né? Bien sûr, même si l’adresse se fait attendre, seule en scène après un brin de route étroite et une piste sans risque qui corse l’aventure. Et y revenir ? Assurément. Pour partager l’engagement d’un jeune couple talentueux. La Maison de la Pia, peu conçue pour les grandes tablées, n’a pas besoin d’une majorité absolue pour tracer son chemin mais d’une clientèle attachée à la vérité culinaire et à l’harmonie entre une cuisine et un lieu. Celui-ci était un cabanon abandonné et a retrouvé vie grâce à la volonté de Camille et Thomas. Aujourd’hui il existe sur la carte des évasions gourmandes en haut-pays. Fragile, courageux, différent…? Il est mon coup de cœur de l’été.
(1) Légumes de Camille et Baptiste, Val des Prés, Claudie et Christophe, vallée de Bens ; viandes et fromage de vache de la Ferme Pelissero, fromages de brebis de Marie-Pierre et Philippe, La Brigue ; légumes de Mauro Brigio, San Remo ; chèvres de Valérie à Barun-Tende ; tomme de vache de Matteo Landra, en alpage à Castérino ; pain au levain et farines anciennes de Lucien Alfsen (La Brigue)…

- La Maison de la Pia, Route de la Pia. Tel. 06 08 76 36 58. Menus 50 € (4 services) et 65 € (6 services). Samedi, dimanche et lundi, menu déjeuner en trois services, 35 €. Ouvert au dîner, de jeudi à lundi. Ouvert midi et soir samedi, dimanche, lundi. Fermé mardi, mercredi et à midi, jeudi et vendredi. Deux dômes à partir de 110 € la nuit pour 2 pers., petit déjeuner inclus. Les dômes sont réservés aux clients du restaurant et disponibles sans demi-pension durant la fermeture annuelle.

Ombre et soleil en haute Roya (photo JG)

Un dôme en pleine nature (photo JG)