Il y a cinq ans, Pauline et Christophe Billau s’installaient au col de la Couiolle, entre Beuil et Roubion, apportant l’étoile qu’ils avaient conquise non loin de là, à l’auberge communale de Roure. Ils n’étaient plus novices en créativité et ils avaient trouvé le lieu pour l’exprimer mieux encore. En septembre 2020 je déjeunais à cette table de passionnés qui venait de perdre son macaron Michelin. Punis, la pomme de terre des montagnes servie façon risotto avec cèpes et morilles, la truite de Châteauroux légèrement fumée, les escargots aux ravioles d’ortie et noisettes du Piémont, le bœuf et crémeux de polenta au café… Une injustice flagrante pour cette table de qualité.
Cinq ans plus tard, la problématique générale n’a pas changé dans les Alpes Maritimes. Y a-t-il une place durable pour la gastronomie dans le haut-pays ? On veut dire en territoire de montagne, à plus d’une heure du littoral, là où vit une restauration rompue aux fréquentations à éclipses, maigre en semaine, ragaillardie le week end. A la mi-juillet, j’avais la réponse. Pauline et Christophe poursuivaient la rénovation, intérieur et abords, de Quintessence et démontraient un engagement intact, toujours pas reconnu par le guide Michelin, égaré dans quelque randonnée…
Pourtant, dans l’assiette, quel plaisir ! Goûts nets, mise en valeur du produit le plus localisé, émotion et vivacité d’une cuisine qui ne cherche pas à briller et semble aujourd’hui à son meilleur. Le fenouil de la Ferme Notre-Dame et citron de la Ferme du Jasson, accordé avec un blanc subtil et singulier de Julien Bertaina (rolle 2020 du Domaine des Claus à Saint-Paul de Vence, à l’étiquette signée Folon), les ravioles aux escargots de Romain Bellor, légumes bio et bouillon d’escargot à l’ail fermenté, le veau d’Aubrac de Julien Villon, au hameau de Bouchanières, jus à la menthe et sarriette, les cerises marinées, biscuit financier à la pistache de Sicile, crémeux estragon et sorbet griotte en ultime fraîcheur exprimaient simplement l’art du bien manger.
Enfin, il y a la sélection des fromages de pays que Pauline présente dans une cave vitrée comme autant de pierres précieuses du terroir, au côté d’une belle sélection de vins (Clos Saint-Joseph, Clos Saint-Vincent, Clos de l’Ours…). Un dîner sans faute, précis, épatant de naturel et proche des vibrations qu’on peut ressentir à l’Auberge de la Roche, autre adresse passionnante, ouverte l’an dernier à La Roche Valdeblore dans le Parc du Mercantour…
Mais il est bien question d’un dîner… Le temps du Covid, les incertitudes de la restauration et ses problèmes de recrutement touchent désormais toutes les maisons. Alors, Pauline et Christophe ont tranché. Ils ouvrent désormais cinq jours par semaine, uniquement le soir, et proposent un menu unique en cinq services pour une vingtaine de couverts. Ils se privent sans doute d’une clientèle fidèle qui hésitera à faire un repas de fin de journée mais on respecte ce choix de conjoncture qui est aussi un choix de vie. Voilà une excellente raison de monter au col de la Couillole pour s’évader, savourer une «gastronomie d’altitude» étincelante, dormir à Quintessence et prendre tout son temps sous les étoiles.
Quintessence, route du col de la Couillole, Roubion. Tél. 04 93 02 02 60. Menu 67 € (5 services) + accords mets-vins. Ouvert au dîner uniquement, de jeudi à lundi. Hôtellerie, 7 chambres à partir de 126 €.