Commenter un palmarès Michelin ! Dire, écrire, se contredire, comprendre et n’y rien comprendre… Le moment masochiste de l’année.
Donc, un vent de dégagisme a soufflé sur l’édition 2019, dont le palmarès a été révélé hier et qu’on annonçait ébouriffante. Elle a commencé par un jeu de massacre médiatique visant notamment les 3 étoiles. Rétrogradés, Pascal Barbot, Marc Haeberlin et Marc Veyrat. Un vrai Bibendrame ! Le guide voit rouge et le verdict est cruel pour ces créateurs historiques. Barbot, vraiment, mérite-t-il cette étoile perdue ?
En accueillant Mauro Colagreco et son ardente Méditerranée (Le Mirazur à Menton)et Laurent Petit, lacustre et végétal au Clos des Sens (Annecy), cela secoue plus encore dans les hautes branches. Michelin ouvre les yeux, s’enhardit, sembble découvrir l’air du temps.
Vu depuis la Côte d’Azur, la troisième étoile de Mauro Colagreco, une «première» pour les Alpes-Maritimes, à deux pas des trois macarons d’Alain Ducasse à Monaco, est une déflagration. Ce libre talent italo-argentin réussit ce qui semblait longtemps impossible : étoiler une table des confins, sur l’ex frontière avec l’Italie. Très fort. Sa cuisine sensible mais non consensuelle s’enrichit de pêche locale, de notes voyageuses et des trésors potagers.Le talent est incontestable et un nouveau défi l’attend : la régularité.
Mauro s’envole mais la Côte d’Azur est à la peine. A deux étoiles, rien de nouveau dans le Var et les Alpes-Maritimes, dans le sillage du Mirazur, ce qui n’était pas le cas l’an dernier avec les trois macarons de Christophe Bacquié entraînant Bruno Cirino et les frères Tourteaux. La consolation vient, à une étoile, avec Le Grillà Monaco, sous la conduite calme et droite de Frank Cerutti, dans un Hôtel de Paris métamorphosé. A Bandol, c’est la fête et un juste retour pour Jeremy Czaplicky (Les Oliviers, hôtel Ile Rousse). A Saint-Raphaël La Terrasse(Hôtel Les Roches Rouges) est récompensée pour la cuisine créative de José Bailly. Enfin la montagne est belle pour Christophe Billau (Quintessence), passé de Roure à Roubion et qui retrouve, à raison, son étoile de haut-pays.
Reste ce qui attriste ou ce qui fâche. Les étoiles perdues de la Villa Belrose à Gassin, du Castellaras à Fayence. Et des Chênes Verts à Tourtour. La faute ! Paul Bajade reste le maître de la truffe, sa cuisine n’a pas varié d’une lamelle, elle n’était certes pas intouchable mais ne méritait pas ce retrait.
Le couperet est aussi tombé pour Le Park 45à Cannes qui perd son étoile sur la Croisette, L’Oasisà Mandelieu-La Napoule et Palomaà Mougins, passés de deux à une.
A Mougins, l’ascension de Nicolas Decherchi est stoppée. Dommage pour ce talent que l’ouverture d’un Paloma II à Prague a peut-être déstabilisé aux yeux du Michelin et qui devra conforter sa position à Mougins, décidément en manque d’étoiles. A quand celle de Denis Fétisson ?
Enfin, à l’Oasis, après la belle histoire écrite par Louis Outhier puis Stéphane Raimbault, le tandem Alain Montigny-Nicolas Davouze apprend qu’on ne reprend pas si aisément une institution (se souvenir du Moulin de Mougins et de l’après Vergé). L’Oasis réduit à une étoile, sacré pari, autre voie, autres prix, et quel avenir… intéressant cas d’école.
Alors, entre étoiles de justice (la deuxième d’Alexandre Mazzia, cohérent, conquérant et qui a boosté Marseille), oublis et incohérences, l’édition 2019 laisse perplexe. Centenaire moins souverain qu’hier, en perte de ventes et d’image, le guide tente la cure de jouvence (sa participation dans le Fooding) et l’opération marketing. Mais garder la main dans un monde cuisiné à la sauce des réseaux sociaux, pas si simple ! Devancé par le nébuleux World’s 50 Best Restaurants qui a classé l’an dernier le Mirazur 4e meilleur restaurant du monde, il donne aujourd’hui l’impression de coller à la roue de son adversaire, alors qu’une nouvelle équipe se met en place et relève un sacré défi. Michelin reste la référence, mais pour combien de temps ?