Le critique gastronomique met parfois un peu vite au placard les adresses dites “institutions”. Pourquoi parler d’une maison qui dure quand il y a tant à faire avec jeunes tables, chefs tatoués, bistronomie ou vague vegan ? Par les tweets qui courent, un #balancetonrestodebourgeois ! est vite arrivé.
Vu sous cet angle, “Les Terraillers“, quarante années de sagesse dont vingt-huit étoilées, le charme et la patine d’une auberge cossue au pied du village de Biot, pourrait entrer dans cette catégorie d’oubliés et ce serait injuste. L’ancienne poterie du XVIe avec salle voûtée, four aux pierres blondes, terrasse-patio et treille aux raisins sucrés, est au contraire une véritable valeur-refuge que Pierre et Chantal Fulci ont transmise à leur fils Michael, formé au Moulin de Mougins et au Louis XV à Monaco.
Pierre Fulci – n’a-t-il pas un air de Jean-Pierre Bacri ? – y a prôné la rigueur, l’art de la table et la maîtrise de cave, son domaine réservé. Aujourd’hui il se rassure : la maison est entre de bonnes mains, le fils n’a pas “tué le père”, il cuisine avec finesse et raison, épure sans aller au clash. Les oursins en espuma d’arabica et citron vert ou le chaud-froid de Saint-Jacques de plongée, rôties, cannelloni en tartare, cébettes, coriandre et caviar ouvrent ainsi en légèreté.
Gnocchis à la truffe noire, trilogie d’encornets, le blanc en bouillon d’herbes, les tentacules rôties au piment et citron sur purée de cresson… c’est net, de beau métier, parfois un peu obsédé par le “trois services”, comme s’il fallait tout dire en un plat. Dans le registre chaleureux, on craque pour le ris de veau à la cardamome, endives fondantes caramélisées, à la grenobloise, en crème au lard et jus de veau et pour la beauté du zeste, la tatin de Pink Lady séduit dans un tourbillon caramélisé, compotée de pommes rafraîchies aux citrons confits, sorbet pommes vertes.
La salle voûtée a gagné en lumière, murs blancs, notes bleues et fauteuils de cuir au design léger, le chariot de fromages (Le Fromager Gourmet de Malory Geniller, à Cannes) est un élégant «serviteur» non un nomade bringuebalant et la terrasse s’est habillée de neuf pour l’été. Quant à la machine à café compressée en oeuvre d’art de verre et de métal par Antoine Pierini, l’un des grands verriers de Biot, elle vaut son pesant de nostalgie (à l’ouverture du restaurant, Pierre Fulci avait acheté cette Unic, déjà collector).
Voilà l’adresse ancienne et son coup de jeune, une gastronomie fine, lisible, sans coups d’éclats, qu’on peut approcher aux menus déjeuner entre 43 et 59 €. Eviter l’embourgeoisement étoilé, conserver le lieu et l’histoire, actualiser le plaisir, était la mission non écrite des Terraillers, version Michael. Il la réussit.
Infos pratiques
- Adresse : Les Terraillers, 11 Chemin Neuf, 06410 Biot
- Tél : 04 93 65 01 59
- Menu : Menus 43 et 59 € à déj. Menus 74, 85 et 120 €
- Carte : Env. 120/170 €
- Fermeture : Fermé mercredi et jeudi