A Nice, la question n’est pas de savoir si le Guide Michelin accordera lundi une deuxième étoile à Gaël et Mickaël Tourteaux mais pourquoi ils ne l’ont pas encore obtenue dans leur restaurant-laboratoire.
La première date de 2011 et les frères cuisiniers méritent la seconde depuis au moins trois ans. Dans leur restaurant avec vue imprenable sur un chantier du tram et ses cruelles palissades ils ont eu le temps de s’interroger. Pourquoi le guide les fait-il lanterner ? Pas assez gastronomiquement correct, suspicion de fragilité, mauvais choix du lieu ? Quel passage de bétonneuse faudra-t-il attendre pour que Flaveur soit plus sérieusement reconnu dans ses pages ?
Ayant gardé un peu de candeur, il me semblait que l’essentiel se jouait d’abord dans l’assiette, la créativité, le jeu des saveurs, l’exigence du produit, indiscutables ici. Menus “toutes latitudes”, iode et épices, ombrine ou crabe royal, rouget ou homard bleu… pan marsala de fin de repas, mêlant, comme en Inde, graines, fruits, parfums, fraîcheur.. au fil des saisons les frères-cuisiniers, anciens d’Alain Llorca au Negresco et de Kei Matsushima, ont haussé leur niveau, affiné leur style et le menu que j’ai goûté mi-janvier traduisait une maîtrise nouvelle.
Sept esquisses terre-mer, saveurs sudistes, notes japonisantes, croustillant de riz vinaigré et lisette marinée au shoyu, bonnets et poudre de miso, accra de morue et citron confit au sel, sablé coriandre, ail noir et secca d’Entreveaux… c’est excitant, condimenté délicat, sur le goût et bluffant de clarté.
Ce qui séduit c’est l’esprit d’alerte, non l’effet d’audace. On redoute des plats a minima, épurés jusqu’à l’évanescence et on trouve émotion, conviction, food sentimental. L’espadon fumé, herbes fraîches et citron confit au sel, le chapon de pêche niçoise (Tony Djian, au petit port de Carras), bouillon iodé au Vadouvan – l’Inde et ses épices (Pondichéry) – chou-fleur et livèche, le dos de cerf de chasse, fin et gourmand, avec coing, olives noires, poivre et oxalis – la petite oseille sauvage aux feuilles en forme de coeur – enfin le “pan marsala” aux variations douces, dont le lait pris au gingembre et herbes, pâte de fruit, mangue-papaye-noix de coco, la mousseline citron, éclats de thé Matcha au chocolat blanc, le galabé – sucre réunionnais de première pression – amande caramélisée au curcuma et champignons… Cette délicatesse a du sens et de la cohérence.
Arômes et saveurs de Méditerranée, d’Orient ou d’Asie voyagent et s’entendent comme amis de toujours. On craignait le retour du fusionnel et c’est simplement exact et savoureux . Pour cela, il faut être un peu dingue de son métier, en faire un horizon exclusif, cuisiniers 24h/24, jusqu’au sacrifice. Connaissez-vous beaucoup de chefs qui parlent de leurs émotions et rencontres culinaires avec autant de passion ? Les frères Tourteaux “sortent” dès que possible, tel week-end en Norvège, un autre en Belgique, visitent les acteurs de la nouvelle génération en France et en Europe, vont respirer l’air du temps, échanger, apprendre…
En salle, depuis deux ans, Flaveur a aussi trouvé le ton juste. Jolas Rusvai, hongrois de la région du lac Balaton qui a travaillé sur les yachts comme en gastronomie (Les Terraillers à Biot), apporte discrétion et prestance. Défenseur engagé de cette cuisine de recherche, il conseille une carte des vins ouverte et convaincante, bien armée dans les terroirs du sud et plus bourguignonne que “Bordeaux”.
Alors, Nice s’entiche de Flaveur ! Pas au point d’en faire la fortune mais la ville de la jeune bistronomie s’intéresse enfin à cette adresse rassembleuse qui enchante clients lointains, foodies et notables.
Bien sûr, il y aura toujours les déçus d’une cuisine du détail et du temps qu’ils jugent un peu longuet. Ils discutent saveurs, quantités ou décor, préfèreraient plus de mâche que d’inspiration… eux et Flaveur ne vieilliront pas ensemble. Mais après bientôt dix ans d’ascension, il n’est plus l’heure pour cette adresse de montrer ses papiers d’identité gastronomique. Et parce que le Guide Michelin, avec ses retards et ses pesanteurs, finit par juger l’essentiel, 2018, je croise les doigts, sera l’année deux étoiles des frères Tourteaux.
Infos pratiques
- Adresse : 25 rue Gubernatis, 06000 Nice
- Tél : 04 93 62 53 95
- Site : www.restaurant-flaveur.com
- Menu : Menus 62 € (à déj.), 85, 99 € et 145 €
- Carte : Env.90/130 €
- Fermeture : Ferm. dim. et lundi et sam. à déj.