Le Château de la Chèvre d’Or et La Tour d’Argent ont un point en commun, une vue d’exception. A Eze-Village, où brille aujourd’hui Arnaud Faye, la Méditerranée, seule en scène. Quai de la Tournelle, la Seine et l’île Saint-Louis, depuis le sixième étage du plus ancien restaurant de France (1582).
Il est toujours intéressant de voir comment un chef s’empare d’un lieu «mythique». A Eze, dans les années 2000, Philippe Labbé cuisinait librement des plats savoureux et millimétrés. Variétés anciennes de tomates, coquillages et crustacés en ravioli ouvert, entre-pinces de homard bleu au bouillon de tomates épicé, turbot cuisiné sur un teppanyaki aux écrevisses et menthe marocaine…
L’entrée du Quai de la Tournelle (photo J.G.)
La Tour d’Argent, c’est une autre histoire. La maison a ses figures imposées, quenelles de brochet sauvage, canard de Challans, homard bleu des îles Chausey… un répertoire que la Callas aurait pu chanter dans cet opéra de la gastronomie française mondialement connu.
Le salon de réception au rez de chaussée (ph. J.G.)
David Ridgway, André Terrail, Philippe Labbé et Stéphane Trapier, Dr (photo Pierre Emmanuel Deleusse).
André Terrail, 38 ans, le propriétaire, souhaitait un vent nouveau en cuisine, pas la tempête. On n’aborde pas frontalement une table «signée Terrail» depuis plus d’un siècle et Philippe Labbé applique la feuille de route – le changement sans la rupture – mais il reste lui-même et dans les écuelles de couleur, on retrouve son style, sudiste et jardinier, pointilliste, floral, tout en fraîcheur et févettes…
photo J.G.
photo J.G.
Qu’il interprète noix de Saint Jacques avec pomme Blue Bell ravigotée et fenouil cru et cuit, langouste puce royale, turbot de Roscoff ou caneton rôti aux épices, fumet de réglisse, salsifis et parfum de poire, il a trop de métier (1) pour simplement «revisiter» les monstres sacrés. Il allège, cisèle, sensibilise, c’est son chemin de foi.
La salle du restaurant, le soir (ph. Herminie Philippe)
photo J.G.
Dans la salle aux baies panoramiques, un peu de guindé ne nuit pas, on s’incline devant le service au guéridon – celle des Crêpes Mademoiselle, grand art du flambage, avec sorbet minute au caillé de lait cru – et un peu plus encore devant la carte des vins de David Ridgway, monumentale et de haute érudition.
L’instant de la crêpe ! (ph. J.G.)
David Ridgway dans les caves aux merveilles de La Tour d’Argent
Dans ce contexte de luxe à la française, rayon légende et rareté, Philippe Labbé, rompu à la gastronomie de «hauts-lieux», apporte le contemporain qui manquait au plus ancien restaurant de France.
photo J.G.
André Terrail, propriétaire La Tour d’Argent
Il remplit la mission que lui a confiée André Terrail : actualiser cette auberge née au XVIe siècle, où les sauces ont des noms de victoires – Valmy, Marengo, Magenta – où le canard au sang est élevé au rang de maréchal d’Empire et où l’addition… est simplement élevée. Entre patrimoine, tradition et modernité, le traité de paix n’y est peut-être pas encore signé mais la voie vers les deux étoiles est ouverte.
(1) Loiseau, Plaza-Athénée, Moulin de Mougins, La Palme d’Or, Les Crayères, Shangri-La, L’Arnsbourg...)
Paris et Notre-Dame au pied de la Tour d’Argent
Infos pratiques
- Adresse : 17 Quai de la Tournelle, 75005 Paris
- Tél : 01 43 54 23 31
- Site : www.latourdargent.com
- Menu : Menus 105 € à déj., 260, 280 (5 services) et 350 €. Ferm. dim. et lun.
- Carte : Env. 220/300 €
- Fermeture : Ferm. dim. et lun.
