Tourtour. “Les Chênes Verts” : cher Monsieur Paul !

Cinquante nuances de noir ! Un plein saladier de truffes et des meilleures, des melanosporum de Provence, taille “mangez-moi !”. Le quotidien des Chênes Verts, la table de Paul Bajade.

C’est comme çà chez “Monsieur Paul”, à peine entré, on annonce la couleur. La maison est cachée en pleine nature, tendance sanglier solitaire. L’escalier conduit au paradis de la rabasse (nom de code provençal de la truffe noire), deux salles aux tables espacées et aux blanches nappes. Aucun designer en vue mais, aux murs de cette discrète table d’art, le souvenir d’amis disparus, toiles, dessins et aquarelles de Bernard Buffet et de Ronald Searle, qui furent citoyens de Tourtour.

Retrouver Monsieur Paul, oeil bleu, franc-parler, blanc tablier et flamme intacte, c’est se plonger dans l’histoire intime du produit. Ce marseillais naturalisé varois a ouvert sa tanière à Tourtour en 1976. Quarante-deux ans, une paille ! Le guide Michelin n’a pas la même perception du temps et vient de lui enlever son étoile. C’est son affaire et c’est à mon avis fort injuste pour ce chef qui ne fait pas son âge et cuisine droit, “à l’ancienne”, en marge de toutes modes.

Signe particulier des Chênes Verts, aujourd’hui comme hier: la melanosporum, à son meilleur en janvier-février, y est traitée comme une reine. Au naturel. L’oeuf à la coque à la truffe, le foie gras de canard, tartine truffée et huile nouvelle (de Tourtour), la compotée de châtaignes mariée au gigotin de volaille, cèpes et truffes, mais surtout la truffe entière nichée dans un feuilleté léger et quelques feuilles de mesclun… vive ce cuisiné clair ! La brousse fraîche, poivre et truffes et la golden tiède au caramel de truffe pour dernières virgules et Tourtour est joué.

J’ai toujours goûté ici le vrai mariage du riche et du pauvre, tête de veau confite aux herbes, beignets d’escargots petits gris aux algues et hure de cochon aux épices… Le menu “spécial truffe” n’est pas pour les miséreux mais celui “du chef” (59 €) est un estimable enfant de choeur.

Quant à la valse du personnel, elle se résume à William, maître d’hôtel au cheveu argent, tenue noire et noeud papillon, plus de trente ans de maison et toujours impeccable de courtoisie.
Les Chênes Verts ? Un classicisme bon enfant, une gastronomie champêtre, la table d’un cuisinier authentique qu’il faut préserver et non punir. “Monsieur Paul”, enraciné à Tourtour, ce village de charme du haut Var qui tutoie les étoiles. Son centre du monde !