De Gaulle de la gastronomie, cuisinier du siècle, «Monsieur Paul», pape, parrain, empereur… Bocuse, mort ce matin à 91 ans, était surtout mondial et monumental. Je l’avais interviewé en 2005 pour Nice-Matin à sa table de Collonges-au-Mont d’Or. Il avait 80 ans et 40 ans de 3 étoiles (52 ans sans interruption en ce début d’année). Un seigneur, attachant, pétri de bon sens, d’habileté politique et de malice paysanne, formidable showman en son auberge kitch et colorée comme un livre d’images où le monde entier venait en pèlerinage goûter la soupe VGE aux truffes noires. Veste au liseré tricolore et coq tatoué sur l’épaule, il parlait des braconnages de son enfance, de ses parties de pêche avec ses copains des bords de Saône, des femmes de sa vie – trois «officielles», révélées dans son livre «Le Feu sacré» – de ses débuts en 1941 dans un restaurant de marché noir, de sa conception de la gastronomie («j’ai été élevé à la haute école du produit… La «nouvelle cuisine» ? Rien dans l’assiette, tout dans l’addition !»), de Lyon, cette banlieue bocusienne où ses brasseries régalaient aux quatre points cardinaux.
Bocuse faisait du Bocuse. Il disait «quand je passe à table, je mange, quand je suis au lit, je dors !». De son Auberge du Pont de Collonges, entouré de six Meilleurs Ouvriers de France : «c’est aussi bon chez moi quand je n’y suis pas que chez certains quand ils sont chez eux »… Une collection de bons mots jamais épuisée ! Les mêmes, servis pour ses 81 ans à la table d’Alain Ducasse au Plaza Athénée puis au Louis XV à Monaco, m’avaient mis en joie. «Nous sommes de modestes artisans !»… Bocuse et Ducasse, qu’il considérait comme son seul véritable successeur, habiles à répondre «à côté», experts en savoir-faire et faire-savoir, dialoguaient avec la même gourmandise, le même feu sacré.
Aujourd’hui, «l’empereur des gueules», qui a sorti les cuisiniers de leurs cuisines pour en faire des acteurs enfin reconnus de la comédie sociale, et parfois des stars planétaires, fut l’un des premiers chefs à voyager à travers le monde. Associé en 1982 avec Gaston Lenôtre et Roger Vergé pour créer un pôle de restauration à Disneyworld (Orlando, Floride), vénéré au Japon où il avait ouvert des franchises dès 1979, il est désormais au paradis des trois étoiles où sa table est retenue de longue date. On y sert saucisson chaud lyonnais, tête de veau, brochet en croûte, volaille de Bresse demi-deuil en vessie, sauce morilles… mais nulle trace d’ébats moléculaires. Des plats de bonne chère, l’air de la tradition, un classicisme à la fois immuable et subversif que certains jugeaient protectionniste et réac, enfin une “grande cuisine française” qui a influencé le monde… Monsieur Paul n’est pas arrivé sans vivres !
A quelques jours de la sortie du Michelin et d’obsèques forcément nationales, vendredi 26 janvier à Lyon, l’histoire de la gastronomie continue de s’écrire et elle est passionnante, en grande partie grâce à lui. Même interprétée par ses plus proches disciples, sa cuisine du patrimoine nous manquera, comme son verbe, son amour des produits, son pouvoir débonnaire, son sens de l’humour et du canular. Bocuse est mort ? Cette blague !
2 comments
Triste, comme tous les passionnés de gastronomie, pour le départ de Paul Bocuse.
Je pense qu’il a “inventé” la nouvelle “nouvelle cuisine”. Bien entendu , pas celle des petites portions dans un grand plat, ou des plats ressemblant à des tableaux, mais la grande cuisine classique réinventée. La cuisine que je cherche aujourd’hui et que je peine à trouver.
En Italie, il y a quelques semaines, a disparu Gualtiero Marchesi. Il était, je pense, le chef italien le plus proche de la philosophie de M. Bocuse.
Très juste ! Merci pour ce rappel et cette proximité entre deux grands chefs “historiques”