Étoiles perdues, étoiles (bientôt) gagnées… en attendant la nouvelle édition du guide présentée le 18 mars à Tours, drôle de jeu à qui perd gagne sur la Côte d’Azur. Après la liste des rétrogradés révélée lundi, quelques bizarreries, des interrogations, et ici quelques propositions…
Longtemps taiseux et piètre communicant, le guide rouge segmente désormais ses interventions et soigne son événementiel en décentralisant la cérémonie annuelle du palmarès (le 18 mars prochain à Tours). Entre Paris et régions, le guide joue ainsi avec les nerfs des chefs et des restaurateurs, toujours attachés, quoi qu’ils en disent, à la piste aux étoiles dans un contexte dont on connait les tensions : inflation, recrutement, additions à la hausse, devenir de la gastronomie… En attendant l’édition « papier » 2024, le Michelin a lâché lundi dernier quelques amuse-bouches en dévoilant une liste de maisons étoilées révisées à la baisse (28) et d’autres qui perdent leur unique macaron (26). Avec quelques bizarreries. A commencer par la priorité donnée aux mauvaises nouvelles dont la perte de la troisième étoile à La Bouitte. Les rétrogradés d’abord, merci pour cette priorité !
Sur la Côte d’Azur, c’est le Var qui paie la douloureuse avec trois établissements concernés pour des raisons différentes. A Bandol, le départ de Jérémy Czaplicki du restaurant “Les Oliviers” (Hôtel Thalazur Bandol – Ile Rousse), aujourd’hui à Saint-Barthélémy, explique le retour à une «simple recommandation» dans ce bel hôtel de la baie de Renécros où son successeur Martin Feragus est arrivé en novembre.
A La Cadière-d’Azur, l’étoile retirée à L’Hostellerie Bérard est un événement. Il survient dans un contexte de transmission qui change la donne de l’institution varoise créée il y a plus de cinquante ans par Danielle et René Bérard. Jean-François Bérard cuisine désormais librement à La Bastide des Saveurs, le mas familial de la plaine de La Cadière et assure ne plus penser à l’étoile. Au village, le 21 mars, René’Sens deviendra Riva, au sein de l’établissement désormais géré par Sandra Bérard, Bruno Caironi et leur fille Marie-Victoire. Deux chemins divergents à suivre, avec ou sans étoile.
Enfin, la perte du macaron de L’Hostellerie de l’Abbaye de la Celle où officie Nicolas Pierantoni, est aussi une affaire de «temps long» épinglé. Alors que la maison créée par Alain Ducasse fête ses 25 ans de saveurs et d’hospitalité, la sanction est sévère pour cette belle adresse en Provence. Et la réponse ne devrait pas tarder dans ce haut lieu ducassien, avec une cuisine peut-être simplifiée, en tous cas plus «terroir» et accessible. Touché mais certainement pas coulé.
Oublions ce qui fâche et voici quelques propositions… Le Var, brillant avec les trois macarons d’Arnaud Donckele à La Vague d’Or (Hôtel Cheval Blanc Saint-Tropez) obtenus en 2022, est encore étoilable. A l’Hôtel du Castellet, on attend la premier macaron de Fabien Ferré, solide après le départ dans le Luberon de Christophe Bacquié, qui apporta trois macarons à cette belle maison et partit avec en Luberon en janvier 2023. En bonne logique, on remet donc les compteurs à zéro.
Une deuxième serait de bon ton à Saint-Tropez pour la créativité de Philippe Colinet au restaurant Colette (Hôtel Sezz). Elle serait plus encore méritée aux Arcs-sur-Argens où Sébastien Sanjou, secondé par sa cheffe Hélène Esnault, reste droit dans sa gastronomie, sensible et gourmande, au Relais des Moines, qui fait honneur depuis 2001 aux terroirs de Provence. Mais que l’attente est longue.
Le guide rouge n’en a pas fini avec la Côte d’Azur, particulièrement dans les Alpes-Maritimes où d’autres retraits sont attendus, dont celui de l’étoile de La Flibuste à Marina Baie des Anges (Villeneuve Loubet) en raison du départ déjà annoncé d’Anne Legrand et Clio Modaffari, cheffes talentueuses, mais apparemment non retenu par le guide.
A La Turbie, quelle histoire ! Rien n’a été dit par le guide mais on pleure déjà l’absence de Bruno Cirino et de ses deux étoiles à L’Hostellerie Jérôme dont la vente de l’établissement et de sa cave (un trésor convoité jusqu’en Principauté de Monaco) n’est pas officiellement actée. La bourde ! Le restaurant, fermé depuis près de neuf mois, ce que le guide rouge ne pouvait ignorer, ne figure pas dans la liste des retraits publiée lundi. Mais alors que lira-t-on dans l’édition papier ? Rien sur L’Hostellerie de La Turbie… Michelin amnésique, cruel ou indifférent, les paris sont ouverts.
Enfin quels nouveaux étoilés espérer dans les Alpes-Maritimes? Le guide pourrait s’intéresser à la nouvelle génération et attribuer une étoile à L’Auberge de la Roche à Valdeblore, véritable révélation en haut-pays niçois où Mickaëlle Chabat, Louis-Philippe Riel et Alexis Bijaoui ont créé une gastronomie aux accents inédits et experte en vins nature. Il serait tout aussi inspiré, malgré la proximité géographique, de rendre une étoile à L’Auberge Quintessence de Pauline et Christophe Billau à Roubion, pionniers de la gastronomie d’altitude. Là haut, du courage et des talents !
A Nice, une adresse s’impose, au delà d’une fringante bistronomie. Onice, ouvert l’an dernier dans le quartier du port par Florencia Montes et Lorenzo Ragni, dont le purisme et la finesse des accords font merveille. Près du marché de la Libération, pourquoi pas étoiler Racines, «restaurant potager» où le grand cuisinier qu’est toujours Bruno Cirino, ayant tourné la page de L’Hostellerie Jérôme à La Turbie, propose une exceptionnelle gastronomie du végétal. Onice la jeunesse et Cirino indestructible créateur.
Au Cap d’Antibes, le guide pourrait également étoiler La Maison de Bacon et son chef Nicolas Davouze, signant ainsi le regain de Bacon, l’institution de la cuisine de la mer créée en 1948.
A Tourettes-sur-Loup. Spelt, ouvert en 2021 par Marion Luque-Bouvier et Raphaël Grima, est l’un de mes coups de cœur pour les Alpes-Maritimes (photo JG). Raphaël, natif de Vence, formé chez Gérard Besson, Michel Rostang, au 110 de Taillevent à Paris et Londres, et Marion, chef pâtissier, ex du Meurice, du 110deTaillevent Londres et de L’AtelierRobuchon Saint-Germain, méritent amplement une étoile pour leur créativité et leur régularité et pas seulement pour leurs plats-signatures, le risotto d’épeautre (spelt en anglais) et l’agrume-surprise.
Enfin le guide retiendra-t-il La Palme d’Or (Hôtel Martinez) ? Christian Sinicropi y conservait deux étoiles avant l’arrivée de Jean Imbert, le wonder chef basé au Plaza Athénée à Paris. Des brunchs et la cuisine de la plage esquissaient l’an dernier sa créativité mais n’étaient pas étoilables. Sa Méditerranée sera donc bientôt à suivre sur le grand écran de la Croisette.
Mois de mars, mois des fous, mois du Michelin… Encore dix jours à attendre pour découvrir le cru 2024 et jouer avec ce cher vieux guide rouge. Parfois déconnecté à l’heure des réseaux sociaux, incontournables et bien plus discutables. Une autre gastronomie se dessine, avec ou sans lui, directe, fragile, éphémère, multiforme mais aussi passionnante.