2020, année invivable pour la restauration. Mai, le dernier mois de l’interminable rétention, juin celui de l’inquiétante libération ? En attendant l’ouverture des salles et des terrasses, petit dictionnaire à l’usage des masqués et des confinés…
A comme art de vivre. Placé sous l’éteignoir, devancé par détresse ou survie et relégué au rang des notions non prioritaires. Pourtant, à retrouver d’urgence. Indissociable de gastronomie et de culture. Même notions en pénitence, le beau et le style (ci-dessus une photo de Mathieu Allinei, passionnant cuisinier du poisson (“Le Bistrot du Port” à Golfe-Juan (www.bistrotduport.com)
B comme blues. Celui des plus modestes est proche du cauchemar. Les professionnels dont la clientèle internationale représente 40 à 60 % de leur chiffre d’affaires font aussi des mauvais rêves. Le monde est aux abonnés absents et les avions n’ont plus d’ailes. La clientèle française est appelée à la rescousse. Valeureuse. Mais un second rôle.
C comme «casse». Celle, de plus en plus redoutée, qui pourrait décimer les rangs de la restauration, quelle qu’elle soit (voir H comme hécatombe). La jeune bistronomie, talentueuse et accessible (moyenne de ses menus 35/45 €), est dans le viseur. L’Union des industries et des métiers de l’hôtellerie (UMIH) évoque le risque de disparition de près de 100.000 établissements sur 160.000 en l’absence de plan de soutien. D’autres estiment les disparitions à environ 40.000… A prendre avec prudence.
C comme Christophe cuisine Chez Vous. Dans le Var, à l’Hôtel du Castellet, le chef trois étoiles Christophe Bacquié interprète à sa manière la cuisine à domicile. Il proposera dès le 14 mai de cuisiner chez le client son menu signature en quatre plats (280 €) – dont son «aïoli moderne» – proposé du mercredi au dimanche, à déjeuner ou dîner. Inédit, expérimental, réservé pour une clientèle aisée, son concept «Le Chef chez Vous» est un pied de nez à la crise et une aubaine pour les fans de ce créateur es-Méditerranée. Contact : chefs@hotelducastellet.com
D comme dates. Celle de la réouverture des établissements, qui doit être programmée selon… quoi ? Les régions, les couleurs, les hauteurs, les rivages, les appétits, les impatiences ?… 15, 20 juin, après ou jamais ? D comme déconfinement, doute, déconfiture ? Plutôt comme départ (nouveau), meilleur pour le moral.
E comme entreprise. Un mot-clé. Hier parfois mal vu, sous-côté et pourtant essentiel. Sur la Côte d’Azur comme en toutes régions, l’inquiétude du restaurateur et chef d’entreprise n’a rien d’une lamentation ordinaire. Elle annonce le grand recul des chiffres d’affaires et une tempête sur l’emploi.
E comme espoir. Mot vintage mais non désuet, actuellement en solde sur tous les réseaux. Garde néanmoins la cote. Ne pas désespérer, placement à long terme. A nos risques et périls.
G comme gastronomie. Examen de conscience attendu pour une gastronomie en question et en danger mais riche de talents et de ressources et qui sait rebondir. Entre Toulon et Menton, les adresses de charme et de luxe vont défendre leurs places au prix fort. A l’heure des libres voyages, la Côte d’Azur aura encore de belles cartes à jouer.
H comme hécatombe. Prononcé façon Philippe Etchebest, devient assourdissant et anxiogène. A éviter, surtout confiné un jour de pluie.
I comme innovation ou idées. Elles ne manquent pas, applicables ici, impossibles là, inédites ou déjà vues. Au delà de la «distanciation» logistique (tables espacées, port de gants et visières pour le personnel…), des menus uniques et courts, suppression de cartes, recentrage sur le produit qualitatif, si possible locavore, transparence sur les producteurs et fournisseurs, convivialité sans contact (!), offre de restauration et de plats à emporter, coin boulangerie-épicerie ou vinothèque… Simples, illusoires ou coûteuses, que de promesses à tenir !
M comme méthode. Vient après le discours. Méthode, protocole, rigueur, exigence… seront demandés à chaque adresse, «petite» ou «grande». Bienvenue aux tables qui accueillent, régalent et rassurent et aux (vrais) professionnels. Parmi eux, Gilbert Vissian (photo ci-dessus), propriétaire de L’African Queen à Beaulieu-sur-Mer (1). Si pas sérieux, svp, s’abstenir.
P comme peur, économique, sanitaire ou sociale. Mot paralysant. A éviter, mieux, à combattre.
P comme plaisir (de table). Pour l’instant en retrait mais toujours d’actualité, pratiqué à domicile. Le «cuisiner chez soi», gisement d’imagination exploré en tous sens, self défense ou auto médication, occasion de révélations et de partages multiples. Plaisir en solo, en famille, parfois «à emporter», grâce à des résistants qui ne désarment pas et n’ont perdu ni la main ni le lien avec le client.
R comme rentabilité. Mot introuvable et hors d’usage. Avis de recherche. Grosse récompense à qui le retrouvera sain et sauf.
R comme (se) réinventer. Facile à écrire, beaucoup moins à réussir mais slogan très en cour dans la profession («il faut se réinventer !»). Traduction : «Que Dieu (ou tout autre) nous entende et nous aide ! ».
S comme saison. Sur la Côte d’Azur, quel que soit le jour de réouverture, 2020 risque d’être une “année blanche”. Ou noire. Regain de l’expression populaire : “il n’y a plus de saison !”.
S comme solidarité. Beaucoup de chef et restaurateurs donnent une image réconfortante du métier. Parmi ceux engagés depuis plusieurs semaines sur le modèle «Les Chefs avec les Soignants», lancé pour les hôpitaux de Paris, on trouve, dans le même esprit, sur la Côte d’Azur, «Les chefs cuisinent pour les soignants, les routiers, les pompiers et les forces de l’ordre», à l’initiative de Laurent Poulet, ex chef du Manoir de l’Etang, son pâtissier Timéo Degardin, Frédéric Ramos (Novotel Monaco), Eugénie Béziat (La Flibuste, Villeneuve-Loubet), Benoit Witz (Monaco), Alain Hascoet (Brasserie du Carlton, Cannes), Jean-Paul Vezziano (Antibes)… avec le concours de la société de fruits et légumes Balicco. Les plats sont préparés dans les cuisines municipales de la Faculté des Métiers-École hôtelière de Cannes. Contact : www.pomweb.fr/LesChefsCuisinentPour.html et www.laurentpoulet.com
V comme vague, viral ou virus. Mots inconvenants. Tellement contraires de vie et de vivant. V comme verdict, redouté à l’heure des comptes, à l’approche de la barrière de péage des PGE (prêts garantis par l’Etat), sortie dangereuse, direction inconnue.
(1) Les photos signées d’Anthony Lanneretonne sont extraites du livre “African Queen, 50 ans de bonheur” (Editions Gilletta)