En attendant l’heure de vérité, des comptes et du déconfinement, le monde de l’hôtellerie-restauration, puissamment aidé mais menacé d’effondrement, reste aux soins intensifs. Son «après 11 mai» rassure moins qu’il terrorise mais pourquoi pas un 15 juin libérateur ?
Argent magique. La perfusion continue. Faute d’annonce, hier vendredi par l’Elysée, d’une date de déconfinement pour bars, cafés, hôtels et restaurants, l’heure est à l’injection de millions d’euros, aux reports, exemptions et annulations de taxes, impôts et charges. Etat d’assistance respiratoire. Le gouvernement presse les banques d’être conciliantes tandis que les assurances, au facteur de sympathie égal à celui de la Fée Carabosse, sont invitées à sortir les oursins de leurs poches. C’est le temps de l’argent magique.
Attente. La délégation de professionnels reçue par Emmanuel Macron a dû remiser ses envies de réouverture rapide et son appel au 15 juin. «La restauration outragée, la restauration brisée, la restauration martyrisée mais la restauration libérée !»… la phrase pourrait être prononcée sur un ton gaullien mais restera en quarantaine jusqu’à fin mai. Cruel pour un secteur qui a dû fermer en urgence mi mars et devra patienter entre 11 mai et fin mai sans garantie de reprise. Anxiogène.
Inquiétant. Au pays des comptoirs et des tables nappées, l’impatience gagne et l’atmosphère risque de tourner vinaigre. D’un côté la tragédie économique, de l’autre la menace du virus «deuxième vague» à l’automne. L’argument sanitaire n’est pas négociable mais certains l’oublient déjà, esquissent cartes et menus comme si de rien n’était et imaginent qu’il suffira de décaler trois tables et deux chaises pour éloigner le virus.
Bilans. Ces conquérants de l’impossible font peut-être partie des 30 à 40% auxquels on prédit la fin des fourneaux. Fonds propres à la dérive, bilans en perdition, mur de dettes… l’heure de vérité approche pour les apprentis sorciers, les inconséquents ou les malhabiles, malheureusement aussi pour quelques créateurs, artisans et poètes. C’est inscrit au bas de la colonne qu’épluche le banquier : en juin, en décembre ou plus tard, les chiffres d’affaires perdus ne seront jamais regagnés. L’hécatombe évoquée par Philippe Etchebest est en marche.
Tensions. Bistronomie, adresse de quartier, PME trop souvent oubliée, entrepreneurs, stylistes, chefs au sommet, sans oublier tous les niveaux de la chaîne alimentaire… le désarroi a gagné tous les coins de la table. Peurs, tensions et désaccords émergent, comme ceux enregistrés au sein du Collège Culinaire de France, avec éruption anti-Ducasse mise en sourdine à l’heure du rendez-vous à l’Elysée. Par temps de cataclysme, prière d’oublier ces bisbilles et de jouer collectif.
Idées. Si bien des restaurateurs se sentent impuissants et si d’autres, notamment sur la Côte d’Azur, prennent le moment à la légère, certains anticipent et préparent l’après en toute conscience. Ainsi Armand Crespo – cinq établissements à Nice, du Bistrot d’Antoine à Pesce – qui ne craint pas une reprise tardive et imagine le futur proche de ses adresses dans le moindre détail – accueil, espace, service, cuisine, tenues, équipements… – et voit sa reprise en mode commando, équipe et cartes réduites. Et à nouveau un projet.
Ou encore Renaud Geille, toujours à Nice (Séjour Café et Mon Petit Café), qui argumente après le premier appel des chefs du Collège Culinaire de France (infléchi depuis). «Ce que mesurent les scientifiques, pourquoi s’en affranchir ? Il va y avoir une deuxième vague… Pour avoir voulu ouvrir trop vite, à tout prix, la restauration en sortirait avec une image dégradée et pour longtemps. Qui peut garantir que notre métier évitera une catastrophe en terme de fréquentation ? Aucun touriste, par prudence et par manque de liaisons aériennes, pas d’européens ou si peu et les clients français probablement réticents à se confiner dans un espace clos. Cela entrainera la disparition de nombreuses entreprises, petits bistrots et maisons prestigieuses. Qui pourra assumer les charges de personnel, les charges fixes et de distanciation sociale avec des fréquentations de – 30 à – 50% ?…
Etrange situation où l’on redémarre sans pouvoir licencier et en laissant des salariés en chômage partiel, tout en perdant de l’argent par manque de fréquentation, en abaissant le niveau qualitatif et probablement de prix. Saut dans l’inconnu ! La saison touristique 2020 est quasiment condamnée. Il n’y aura pas de retour à la normale sans vaccin ou traitement… Avant de prendre toute position, il convient de vérifier l’impact, à partir du 11 mai, de la levée du confinement sur la santé publique». Renaud Geille propose notamment de lever des taxes sur les compagnies d’assurance «qui ont refusé tout civisme économique et social. Un véritable impôt social européen». Il faut négocier non seulement la date de réouverture mais les bases solides d’un financement des pertes. Outre des chefs renommés, des dirigeants d’entreprises savent aussi réfléchir et proposer des initiatives collectives pour éviter une “casse” économique et sociale majeure. Nous représentons une force de travail, des emplois, des talents qui doivent être utilisés au service de notre pays et de nos entreprises et salariés. Notre responsabilité est triple: sanitaire, économique, sociale».
Client. Entre plaisir et défiance, c’est l’autre clé. Un retour serein du client au restaurant est peu probable mais le besoin de «revivre» demeure, sous condition de sécurité et sans stress. Le resto, pas l’hosto ! Un art de vivre, un gisement d’emplois, une proximité vitale sont en jeu. Chaque adresse est un modèle économique à défendre et un lieu à préserver.
Plats à emporter. Pour l’heure, c’est le phénomène révélé par ce temps de pandémie et il n’est pas si éphémère qu’on pourrait le croire. Plus ou moins réussi, notamment par des étoilés, l’exercice est souvent mieux maîtrisé par les «petits». Qualité du produit, plaisir, simplicité, prix accessibles, écoute du client… et le bon créneau autour de 25/30 €, livraison gratuite. Voilà de l’espoir !
Quelques exemples sur la Côte d’Azur (voir également mon article du 18 avril «Chefs entre parenthèses et plats à emporter»). Dans les Alpes-Maritimes, La Cabane et Le Bistrot du Port à Golfe-Juan, Dante, Lavomatique, Olive & Artichaut à Nice, Le P’tit Cageot et L’Arazur à Antibes… Dans le Var, La Colombe à Hyères, Le Local à Toulon, Le Shardana et Au Clair de la Vigne à Bandol, Le Clos Pierrepont à Montferrat, La Table de Pol à Lorgues… Liste bien sûr non exhaustive. Ils résistent !
J’aime. Les mots de Mauro Colagreco, dans sa “lettre à ses clients”, dans l’esprit de son livre “Mirazur”. “Tout comme moi, mon grand-père était un amoureux de voyages. A son époque ce n’était pas facile de voyager comme maintenant alors il aimait déplier les journaux, lire les offres de tourisme, rêver de voyages exotiques le temps de finir sa lecture. C’était sa façon à lui de partager un moment d’illusion lors des temps difficiles. En ces jours de confinement, je réalise l’importance de pouvoir rêver et s’évader par la pensée… découvrir les cultures du monde, se questionner, s’inspirer de nouvelles idées, se sentir vivant tout simplement ! “.
Visionnaire. Cet extrait du livre Les Poneys Sauvages de Michel Déon.
“La grippe de Hong-Kong prenait de telles proportions qu’elle s’avérait une catastrophe nationale: économie bloquée, épuisement des antibiotiques, démoralisation générale, sans que l’on précisât le nombre des morts.
– Pff! c’est un virus insignifiant. Je vous l’ai dit: un élément précurseur, bon pour une répétition générale avant la grande vague qui, elle, fourbit son arme absolue, cent fois plus rapide que tous les cancers.
Comme toujours, l’humanité fixe les yeux sur le mauvais danger: la Chine avec son milliard d’hommes… Mais que représentera ce milliard d’hommes devant un milliard de milliards de virus? Le virus dévastera la Chine en un jour quand il s’attaquera à elle, dans les conditions d’hygiène où elle vit… Un charnier immense exhalera des vapeurs fétides que les vents répandront sur toute l’Asie, puis l’Europe et par dessus le Pacifique sur les Amériques. Nous ne savons encore rien des virus. Nous n’avons examiné que les plus anodins, et ce que nous voyons confirme leur intelligence, leur sens de l’organisation, leur voracité, leur faculté d’adaptation à tous les milieux… Le jour où ils éliront pour chef le plus puissant d’entre eux, ce virus se multipliera en quantités infinies. L’homme n’est pas de taille à lutter. La civilisation l’a rendu plus grand, plus fort, moins laid, mais aussi plus vulnérable aux épidémies d’origine inconnue. Il peut se battre contre un lion, un tigre, contre son semblable, mais quand un virus l’attaque, il a la fièvre, les jambes molles, le coeur chancelant et il se couche. Son courage ne lui sert plus à rien”. A méditer…
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C’est difficile de laisser un commentaire à un article si beau et complexe. La seule chose que je pense en ce moment, c’èst que rester encore confiné a la maison n’est pas utile. Le risque zero est prevu à 12/18 mois! Gagner ou perdre le challenge depend du comportements des individus. Donc aujourd’hui confinés et plus encore demain, respecter les mesures “barrières” parce que ce sera notre prochain futur est l’unique moyen de s’en sortir. mais je prie tous de recommercer avec de cartes reduites, des plats simples, avec le personnel qu’on pourra se permettre …. nous, clients, serions là pour comprendre, soutenir et jouir du moment retrouvé, mais en tous cas, rouvrir !