Monaco. « Ômer » ou l’art des Méditerranées

La Méditerranée n’est pas une découverte pour Alain Ducasse. Elle est de toutes les saisons depuis l’ouverture du Louis XV en 1987, s’invite au Grill à l’étage tradition et vient d’accoster à Ômer, ouvert dans l’aile Rotonde. Le nouveau restaurant de l’Hôtel de Paris y multiplie saveurs et couleurs et actualise le grand mezzé, rituel et inventif, que Balzac appelait « la gastronomie de l’oeil ». Un monde de saveurs.

Aujourd’hui, dolmas, falafels, carpaccios, hoummos & Co ont proliféré et c’est ainsi qu’une cuisine de partage, dévoyée et banalisée, perd sa joie de vivre. A l’inverse, Ômerlui redonne du sens là où sont nées, dans les années quatre-vingt, la «cuisine de la Riviera» et la «Méditerranée de l’essentiel ».

Dans la salle au boisé élégant et à l’atmosphère décontractée, avec alcôves et Cercle du Vin, ou sur la terrasse-jardin aux tonnelles de verdure, trois, cinq ou sept assortiments de mezzés ouvrent le grand jeu méditerranéen. Si on retrouve quelques connaissances comme les gamberoni du golfe de San Remo, l’essentiel est dans l’expression végétale et aromatique, les épices et condiments, les notes fumées, grillées, marinées. La simplicité et la diversité, ces secrets de fabrique, de la Grèce au Liban, des rives de Ligurie aux côtes tunisiennes, de la Turquie au Maroc ou à l’Andalousie.

J’ai aimé la palette de saveurs, les beignets d’anchois, piment nora et condiment romesco, les calamaretti sautés à l’huile d’olive et pistou de marjolaine, un hoummos à la légèreté de nuage – vite, lire « Traité du pois chiche » du niçois Robert Bistolfi et du damascène Farouk Mardam-Bey (1) – la daurade palermitaine au four, le boeuf fistik (Turquie), filet grillé, pistache, paprika, citron et poivron rouge, tranché au couteau douk-douk mélanésien (fabriqué à Thiers). Enfin le yaourt grec « straggisto », fleur d’oranger, miel, hibiscus et crémeux mandarine ou la subtile pastilla au lait, cardamome et noix torréfiées. Une réussite de fraîcheur, même si on note dans la marge quelques « peut mieux faire » (falafels trop secs et coriandre égarée).

Cette table conviviale distrait de la gastronomie du Louis XV et des classiques du Grill, étoilé de frais par le guide Michelin. Le chef, Pascal Laine, en a été détaché et veille à l’harmonie de cette cour de re-création, Michel Lang dirige l’équipage et Mathias Negro conseille vins de Grèce, Sicile, Croatie, Syrie ou Israël. Hospitalier, accessible, festif, Ômerréussit le brassage culturel et culinaire qu’on attendait et prône l’ouverture dans une époque de repli sur soi. Un cadeau !

(1) Editions Actes Sud, collection Sindbad.