Appelons cela de la réserve pour ne pas dire une certaine inattention. Vu depuis la Côte d’Azur, le millésime 2023 du guide Michelin, lancé sur grand écran à Strasbourg, est un cru a minima, une édition post Covid au souffle court. A l’image d’une sélection nationale qui compte 39 nouveaux 1 étoile, quatre 2 étoiles et un 3 étoiles, le talentueux Alexandre Couillon (La Marine à Noirmoutier). On ne découvre pas ici que le guide cultive la rareté et n’explique jamais ses choix, sinon en termes convenus mais voici une inspection générale qui tourne au régime minceur.
Les bonnes nouvelles d’abord, avec l’étoile obtenue par Justin Schmitt, le nouveau chef du Château Eza (Èze Village). Cet ancien du Crillon, auprès de Christopher Hache, formé auprès d’Alain Senderens, Guy Martin, Michel Guérard et Eric Fréchon, était, il y a deux ans encore, le chef étoilé de Laurent (Paris 8e) où il avait succédé au cannois Alain Pégouret. Sa cuisine tout en recherche et sensibilité apporte un élan nouveau au Château Éza.
Dans le Var, Christophe Schmitt, chef du Faventia (Terre Blanche à Tourrettes) et successeur de Philippe Jourdin, qui amena 2 étoiles dans ce domaine de plaines et de bois, est un aussi bon choix. Aucun lien de parenté avec le chef du Château Éza mais une assurance et une finesse d’exécution qui donnent à ces adresses de charme et d’évasion une claire reconnaissance.
Étoiles rouge mais aussi l’étoile verte, symbole de gastronomie durable. Elle est attribuée à Benoît Witz, expert en terroir provençal et l’un des fidèles d’Alain Ducasse dans les terres varoises. Longtemps à l’Hostellerie de l’Abbaye de la Celle, il est désormais aux commandes du Jardin Secret, la table gastronomique et «nature» de Lou Calen, domaine en plein essor qui surplombe le village de Cotignac. Il est dans son élément.
Enfin deux récompenses tout aussi méritées et dans l’actualité de la restauration. Le prix du service et des arts de la table, attribué à Claire Sonnet, formée au Plaza Athénée par Denis Courtiade et promue directrice de salle au Louis XV Alain Ducasse à Monaco où elle fait preuve de classe et d’attention, et le prix Passion Dessert à Marius Dufay, l’excellent chef pâtissier du Mirazur à Menton.
Une fois cette courte récolte posée, quoi d’autre ? Rien, sinon le couperet qui est tombé dans le Var, sur l’Hôtel du Castellet après le départ de Christophe Bacquié pour Bonnieux, en Luberon, où il ouvrira en avril sa maison, Le Mas les Eydins avec son épouse Alexandra. Le choix du sage, personnel et réfléchi mais une rude sentence pour Fabien Ferré, son second depuis dix ans qui doit repartir à zéro dans la conquête étoilée ! Dans la grande maison du Castellet, à deux pas du circuit, la disparition des trois étoiles indique plus un changement de cap, loin de la haute gastronomie, si lourde à porter, qu’un changement de chef.!
Enfin, une certaine glaciation pèse sur cette édition. Un statu quo qui rassure des tables solidement implantées, épargne d’autres en perte de vitesse mais fait surtout peu de cas d’adresses prometteuses, dont certaines, fraîchement installées et où les chefs affichent parfois une indifférence sincère à l’égard de la machine Michelin…
Pourquoi pas, dès lors, guider le guide et suggérer pour les prochaines éditions, quelques talents que Table libre aime et recommande…
A 1 étoile, on aimerait bien So’Mets d’Anne-Sophie Sabini à Beaulieu, Spelt de Marion Luque-Bouvier et Raphaël Grima, à Tourrette-sur-Loup. L’Auberge de la Roche de Mickaëlle Chabat, Louis-Philippe Riel et Alexis Bijaoui, à La Roche Valdeblore. Quintessence de Pauline et Christophe Billau, à Roubion qui méritent de retrouver l’étoile perdue. La Table de Kamiya de Claire et Takayuki Kamiya, à Cros de Cagnes. Le Bistrot du Port de Mathieu Allinei à Golfe-Juan. Le Nid de Davy et Émilie Jobard, sérieux et discrets au coeur de Flayosc…
A 2 étoiles, Philippe Colinet («Colette» à Saint-Tropez). A 3 étoiles, Bruno Oger (La Villa Archange au Cannet-Rocheville).
Ajoutons quelques oublis désolants. Des tables « naufragées » dont les clients fidèles s’étonnent de l’absence dans les pages du guide. Deux exemples, dans le Var, loin d’être isolés. La Bastide des Magnans, à Vidauban, de Christian Boeuf et son chef Christophe Ciotta. 25 ans de parcours, une évolution constante et toujours oubliée du Michelin. Antr’EnouS, d’Etienne Colliard et Stéphanie Tieffry, à peine deux ans au coeur de Lorgues, une gastronomie sûre et sans arrogance qui en fait une table de qualité et le même constat : inconnue au guide rouge.
Le millésime 2023 abrite bien sûr de vraies bonnes adresses, les étoiles sont précieuses pour tant de maisons où Michelin apporte espoir et courage et reste la référence. C’était mieux avant ? Non mais on riait bien parfois dans l’ancien monde de la gastronomie quand des chefs, malicieux, prudents ou avisés, passaient à l’offensive. Ainsi avec le bon tour joué en 2005 par Alain Senderens rendant ses trois étoiles et faisant de Lucas-Carton une «brasserie sans chichi”. Le contrepied avait du panache et donna des idées. Trois ans plus tard, Olivier Roellinger rendait à son tour ses trois macarons…
Aujourd’hui la gastronomie s’exprime partout, créative, inattendue, insolente, écervelée ou éphémère mais toujours plus vivante et rapide. Le guide rouge, ce taiseux qui se soigne, qui a repris le Fooding, est peut-être devenu grand communicant mais pas le meilleur diplomate (1). Il joue le grand écart entre nouvelle génération et grands anciens, mais n’est plus autant maître du jeu et peine à ordonner cette effervescence par temps de réseaux sociaux et de changements de société. Dure, la vie de guide, même en habits rouges.
- Voir l’annonce anticipée de dégradation, faite une semaine avant la grand’messe de Strasbourg à quelques chefs. Guy Savoy à Paris et Christopher Coutanceau à La Rochelle, passés de trois à deux étoiles, Michel Sarran à Toulouse, Jean-Luc Tartarin au Havre et La Table de l’Alpaga à Megève, de deux à une.
2 comments
Excellent article. Le Relais des Moines manque à nouveau la 2ème étoile.
Très bel article Monsieur Gantié. Toujours une aide pour connaitre la gastronomie de la France du sud. merci !