Cocktail à La Petite Maison, Vieux Nice, début mai. On fête Philippe Sollers, lauréat du prix littéraire créé l’an dernier par Nicole Rubi et dont Patrick Besson préside le jury (1).
Un ex “mao” et un ex “communiste non pratiquant”, depuis recentrés, écrivains forts en style, pensée et polémiques à la table de Nicole, on savoure. Cette adresse 100% Nice, gourmande, adulée ou décriée, est décidément le lieu “où çà se passe”. A l’instant officiel, Sollers, 81 ans, s’appuie sur sa canne mais l’oeil de Casanova pétille et les mots claquent. Il mêle culture, politique et ironie, improvise un discours brillant, d’enfant malicieux et d’observateur attristé du monde comme il va. Il est question du “dernier carré” d’écrivains véritables, d’obligation de guerilla et de résistance à la régression, de psychanalyse bien sûr… 1958-2018, veut-il reécrire “Une curieuse solitude”, son premier roman ?
Ce n’est pas pour déplaire à Patrick Besson, plume libre, catalogué snipper, tellement serbe et lui aussi pur écrivain (lisez son roman politique “Tout le pouvoir aux soviets”, éd. Stock), amoureux et piéton de Nice quand il ne l’est pas de Belgrade. Dans la ville de Le Clézio, il fait court, lapidaire même. A quoi bon présenter Sollers le bordelais, fauve médiatique ? Peut-être pense-t-il au nombre de faucilles et de marteaux – ses étoiles à lui – qu’il attribuera au dîner chez Nicole ? Christian Estrosi, le maire de Nice, sourit aux traits d’humour, la mondanité ne s’éternise pas, le dîner sera festif et tout le reste est littérature.
Elle n’est pas étrangère à Nice, aimée des écrivains. Et sans être romanesque, La Petite Maison raconte une histoire niçoise dont Nicole Rubi est l’héroine. Elle eut un jour l’idée d’ajouter à sa carte un prix littéraire à l’image de celui du Café de Flore créé par Frédéric Beigbeder chez Miroslav Siljegovic, son propriétaire. Belle idée. A Saint-Germain des Prés, le lauréat du Prix de Flore peut consommer chaque jour pendant un an un pouilly-fumé dans un verre gravé à son nom. Boire ou écrire, on peut ne pas choisir.
En attendant d’offrir au prochain lauréat un verre de rosé quotidien rue Saint-François de Paule, le prix niçois s’installe pour longtemps en terrasse, attribué pour sa première édition à Anne Akrich (Il faut se méfier des hommes nus, éd. Julliard) et cette année à Philippe Sollers pour son dernier livre, «Centre» (Ed. Gallimard). Tout semble calme dans ce roman, comme dans l’oeil du cyclone, en compagnie de Nora, psychanalyste, de Freud et de Lacan. Attendre la tempête en lisant l’auteur de “Femmes” et de “La fête à Venise” et en croquant une pissaladière au soleil de Nice, çà n’a pas de prix ! Il suffit ainsi d’une récompense littéraire pour qu’un restaurant, déjà éloquent (le «Tous célèbres ici» de Ben), devienne le centre du monde. La Petite Maison est alors à Nice ce que la gare était à Perpignan, au sens dalien, Nicole est au centre du jeu et Sollers est grand.
(1) Membres du jury : André Asséo, Georges-Marc Benamou, Sylvie Le Bihan, Jean-Luc Barré, Bruno de Cessole, Jemia Le Clézio, Eric Fottorino, Henry-Jean Servat, Anne-Sophie Stefanini, Laura Tenoudji, Ulrich Wickert.