Vendredi 12 avril, 20 h 30. Les petits pois nouveaux entrent en scène dans le menu de Racines proposé par Bruno Cirino. Ceux là n’ont pas rêvassé sur les bancs de l’école ! Réveillés de bon matin, frais comme l’oeil et triés sur le volet ils sont au rendez-vous des premières assiettes, traités nature dans leurs cosses, en crème gourmande ou en velouté au lait de buflonne.
Il en sera de même pour les plats suivants où un légume est traité en totalité. L’oignon rouge italien «tropea», variété ancienne à la saveur douce et sucrée, accompagné d’oignons blancs primeurs ; la première morille, farcie de champignons et fines herbes, les asperges du Ventoux, jus végétalisé de leurs peaux, brocoletti et blettes ; l’artichaut épineux de Ligurie, soufflé au comté et ricotta… quel plaisir ! En neuf séquences, jusqu’aux desserts invitant des fraises de Carros ou le fenouil et glace de vitelotte, chaque plat est un concentré de minutie et d’émotions. Ce «tout légumes» c’est le haut du panier. Pas le votre, ni le mien mais celui d’un cuisinier d’exception qui maîtrise l’art du simple, le cours impératif des saisons, la fraîcheur du produit cueilli pour lui par des maraîchers talentueux, fidèles depuis des années.
Murs bleu de Prusse, marquetterie et bois clair, table d’hôtes aux tons miel et mosaïque de marbre, le « restaurant potager » de Bruno Cirino est à cette image, gourmand et convivial. Et puis il y a le tablier de cuir et le chapeau de paille porté en cuisine, espace réduit où chaque geste compte, comme en salle où il ne s’attarde pas. A ses côtés, José Vidal, compagnon de route depuis trente-quatre ans, du temps des palaces à Paris (le Vernet, le Royal Monceau) jusqu’aux années de l’Hostellerie Jérôme, sa table deux étoiles à La Turbie. Cuisine en commando, service impeccable d’attention dirigé par Valentin, nobles cuvées et vins de soif choisis par Hugues, excellent sommelier (la fraîcheur du Côtes du Roussillon blanc, cuvée Laïs, d’Olivier Python)… cette adresse qui connut des débuts à éclipses au temps du Covid, rassemble et réconforte.
Près de la Gare du Sud, le marché de la Libération pousse ses étals jusque devant la discrète devanture de la rue Clément Roassal où la nouvelle vie de Bruno Cirino a commencé. A La Turbie, il conserve Le Café de la Fontaine mais il a tourné la page de L’Hostellerie, en passe d’être reprise avec son trésor, la cave de collection aux 40.000 bouteilles, qui pourrait trouver preneur en Principauté de Monaco…
A Nice, quatre soirs par semaine – cinq à partir du mois de mai – il est l’heure de découvrir cet artisan discret à la technique éblouissante. Un fou de cuisine, un vrai, reconnu par ses pairs comme l’un des plus grands dans la recherche du goût originel et l’exigence du produit, notamment par ceux qui l’ont formé, Jo Rostang, Roger Vergé, Jacques Maximin au temps du Negresco, Alain Ducasse à l’époque du Juana…
Aujourd’hui, sa gastronomie du végétal est impossible à confondre avec le cours ordinaire d’un restaurant végétarien. Certains parlent de leur potager comme d’un talisman mais une fois à leur table on n’en trouve plus trace. Cirino est plus haut, plus loin, entre épure et nature, créativité et saisonnalité. Il vient de recevoir une étoile… certes, alors à quand la deuxième ? Ce serait justice mais l’important est moins le jugement dernier du Michelin que ce qu’il réussit à cette adresse discrète à la vitrine de bistrot.
A 70 ans, Bruno Cirino, cuisinier-jardinier, met en bon ordre ses deux jardins potagers, au-dessus d’Eze-Village et à La Turbie, où il cultive jeunes pousses, légumes oubliés et pièces rares. Il pourrait faire siens le vœu d’Alain Passard qui compare le légume à un grand cru ou cette définition de Michel Onfray : «Le légume le plus modeste contient l’aventure du monde». La sienne continue, sa passion est intacte et Racines n’a pas fini d’étonner et de donner du plaisir. Chapeau, monsieur Cirino !
Racines, 3 rue Clément Roassal, Nice. Tel. 04 93 76 86 17. Menu 75 € (9 plats). Ouvert le soir seulement de mercredi à samedi et mardi à partir de mai.