Voilà une maison qui défie le temps ! Bientôt cinquante ans d’existence, une gastronomie au long cours et la même famille aux commandes. En 1978, Pierre et Chantal Fulci créent leur restaurant dans une ancienne poterie où on fabriquait autrefois la vaisselle en «terraille» (1). Tout un symbole à l’entrée de ce village d’art marqué par l’essor de la poterie au XVIIIe siècle et de la verrerie d’art dans les années 50. En 2007, leur fils, Michaël, ancien de Jean Bardet à Tours, de Roger Vergé au Moulin de Mougins, d’Alain Ducasse au Louis XV à Monaco et au Plaza Athénée à Paris, prend sa première place de chef puis leur succède en 2012.
Ce rappel d’histoire n’est pas inutile alors que le temps s’accélère dans le milieu de la gastronomie. De jeunes talents venus de tous horizons bousculent les chefs en place, des pans entiers de la restauration sont fragilisés et aucune ancienneté n’est une assurance tous risques. C’est beau la longévité, mais c’est long et on est vite classé « table d’avant »! Dans ce contexte, j’ai retrouvé la « maison Fulci » (un macaron au guide Michelin depuis 1990) plutôt solide sur ses fondamentaux: le respect du produit et la rigueur même si tout le monde s’approprie ces vertus, enfin la manière dont Michael Fulci réussit l’équilibre entre tradition et créativité.

Sa révolution culinaire, il l’a accomplie sans précipitation, dès les premières années de son «règne». Moins de brassées de fleurs, moins de solennité dans le décor et l’art de la table, du style sans excès de ponctuation… Dans la salle voûtée ou sur la terrasse protégée par un bougainvillée et une treille majestueuse, on a retrouvé, intact, le charme de ce restaurant protecteur et une gastronomie qui ne s’est pas démonétisée au fil des années.

Aujourd’hui est un autre temps, passionnant mais incertain pour la restauration, quels que soient le niveau et la valeur. Michael Fulci l’aborde avec sérieux et n’a pas dévié de sa route. Un signe : depuis cinq ans, il a choisi pour second et désormais associé, Emilien Brietz, ex du Louis XV-Alain Ducasse, riche de cette expérience et de celles menées auprès de Guy Savoy et de Yannick Alléno. Aux Terraillers, ce qui est plutôt rare, il est revenu sur le lieu de son apprentissage et partage les convictions de cette table étoilée : conserver l’identité maison, innover sans déconcerter, se tenir à l’écart de toute chapelle.


La carte s’ouvre sur la courgette fleur farcie à la truffe noire, huile de pistil, émulsion de courgette, une recette « signature », comme un marqueur en hommage à son créateur, bien connu dans la maison, Pierre Fulci. La suite tient la promesse initiale : le produit travaillé sous plusieurs angles, cuissons, accords, saveurs et textures… Une créativité sereine dans un décor du patrimoine.

Ainsi la facture légère du cèpe grillé, son voile à l’estragon, salade de copeaux de cèpe au vieux parmesan et pissaladière de cèpe laqué au four. Puis la carabineros (langoustine à l’habit écarlate) simplement grillée, fleur de melon brûlé à la flamme, bisque de carabineros au bouillon de melon, tartare et tête farcie façon gratin.

Du pagre laqué barbecue, carotte, gingembre, poivre vert, fanes de carottes infusées et jus de tête, à l’agneau rôti au thym, son jus et légumes grillés à la sarriette, anchois au barbecue, copeaux de pêche, on aime cette conduite précise et en finesse, même si on n’adhère pas à tout, notamment à certains desserts plus hésitants (la fraise en textures, meringue, sorbet et granité végétal, fraise glacée, vinaigrette fraise-sauge). Le chariot de fromages conforte le sérieux étoilé de la maison et si la carte des vins roule moins carrosse qu’auparavant,elle conserve des accords mets-vins d’excelllente facture.


Quant à la complicité entre Michaël et Émilien, elle garantit la suite de l’histoire, celle d’une adresse toujours dans le jeu étoilé de la Côte d’Azur et d’une table comme on les aime, calme et droite, sans excès de médiatisation et tout à ses saveurs. Comme on le dit encore, c’est une valeur sûre.
(1) « terraille », terre amassée dans les champs.

Les Terraillers,11 Chemin Neuf, Biot. Tél : 04 93 65 01 59. Menus 107, 127 et 175 € (menu surprise en 8 services). Formule déjeuner 75 € sauf dimanche et fériés. Fermé lundi, mardi.
Parking privé. www.lesterraillers.com
