C’était au troisième jour du printemps. Plein soleil sur La Croix-Valmer, ciel bleu estival, direction la piscine… Enfin à côté de la piscine, où Florent Manini et Anna Thillaye viennent d’ouvrir “Les Saisonniers”. L’enseigne, joueuse, semble introduire une histoire de calendrier touristique avec les hauts et les bas habituels de la restauration. Fausse route. Si saisons il y a, ce sont celles du produit, choisi, travaillé et servi au juste moment. Anna et Florent en ont fait leur priorité. Rien d’étonnant lorsqu’on sait qu’ils étaient l’an dernier encore à La Vague d’Or, la table trois étoiles de l’Hôtel Cheval Blanc Saint-Tropez. Florent y fut pendant sept ans le chef-pâtissier d’Arnaud Donckele, rejoignant, l’hiver, Sébastien Vauxion, chef du Sarkara, restaurant pâtissier 2 étoiles à Courchevel. Puis ils ont laissé la haute gastronomie à ses réussites, ont changé de vie et de paysage et ont pris le chemin de La Croix-Valmer.
Balayons d’abord quelques qualificatifs. Les Saisonniers n’est ni une «petite table» – trop réducteur – ni le dernier avatar de la bistronomie. L’adresse répond à la passion d’un jeune couple au parcours éloquent. A peine née, elle réussit son entrée, accueillante et lumineuse, grandes baies et terrasse à mi colline ouverte sur la Méditerranée. Un lieu à l’écart du bord de mer, de ses hauts faits comme de son brouillage culinaire.
Dans l’assiette, la réponse est immédiate. Le printemps commence, ce jour là, avec le poulpe snacké et légumes de printemps, la tarte feuilletée aux oignons nouveaux au sucré délicat; un pâté-croûte en mosaïque légère, le risotto aux pleurotes et copeaux de parmesan, épatant de douceur et cuisson exacte. Une «gastronomie du simple» s’engage. Aux tables voisines, Anna sert un vol au vent au feuilletage maison et bourride de baudroie, et une joue de bœuf confite, purée de pommes de terre, qu’on aurait volontiers subtilisés. Dommage que la sélection des vins soit encore timide, mais il y avait d’autres priorités d’ouverture et elle s’étoffera bientôt. En attendant on choisit le talent local – blanc du Château de Chausse, rouge du Domaine de La Croix – ou, venu des Alpes-Maritimes, le muscat doré du Domaine des Hautes Collines, à Saint-Jeannet.
Et puis il y a les desserts, confectionnés des mains de Florent ou d’Anna. Ainsi un vacherin aux agrumes de La Crau, légérissime, et la tarte tatin au tendre feuilleté, pommes de Manosque et chantilly. Ils répondent à l’esprit du lieu et nous épargnent les effets de style et les démonstrations homériques qui plombent parfois les fins de repas. Le beau livre en sentinelle près de l’entrée – Sensations de Philippe Conticini, figure majeure de la pâtisserie contemporaine – alerte sur le savoir faire de ce jeune couple et il dit vrai. La passion dessert est bien l’autre signature de cette jeune maison où le brunch de fin de semaine, proposé en trois formules – petit déj’ « l’appétit d’oiseau » (12 €), « croc du lionceau » (23 €) et « La faim de loup » (35 €) – invite à un autre partage.
Les Saisonniers répond ainsi à ce qu’on demande de plus en plus à un restaurant. Une certaine écoute du client, des plats qui nous «parlent», sincères, gourmands ou aiguisés, revus dans la légèreté d’aujourd’hui et sagement tarifés. Ici l’émotion nait de la maîtrise. C’est bon, vraiment et simplement bon chez Florent et Anna, cuisiniers-pâtissiers qui se partagent la cuisine et la salle. On reviendra chez eux pour ce gage d’hospitalité, pour le produit traduit à son meilleur, le respect de la saison, le talent sans l’effronterie, la qualité discrète… Et pour autant de plaisir, un coup de cœur s’impose. Quelle que soit la saison.
Les Saisonniers, Bd de Tahiti (à côté de la piscine), La Croix-Valmer . Tel. 04 83 12 83 41. Menu-carte env. 45/60 € (entrées 12-16€ / plats 22-28 €, desserts 9-12 €). Ouvert midi et soir de mercredi à samedi. Brunch samedi et dimanche (formules 12, 23 et 35 € ).