Le prochain chef deux étoiles des Alpes-Maritimes sera-t-il italien ? C’est aller bien trop vite en besogne et poser la question risquerait de tout compromettre mais il y a urgence… Qui aurait pensé que
le restaurant gastronomique du Château de Théoule, ouvert au printemps 2024, serait étoilé Michelin en 2025 après une courte année d’exercice ? D’ordinaire plus circonpect, le guide récompensait pourtant sans attendre Francesco Fezza, chef du Mareluna.



En septembre dernier, j’ai découvert ce napolitain arrivé en France en 2016, passé par des adresses italiennes de Paris (Patio Opéra, Cucina di Luca), au Meurice supervisé par Alain Ducasse, à Pages, étoilé nippon, puis chef de La Traboule dans le 8e. A Théoule, dans l’ancienne savonnerie du XVIIe siècle devenue hôtel aux remparts crénelés, sa cuisine fulgurante et précise valait indiscutablement une étoile. Sur la terrasse romantique du château, vue sur la baie de Cannes et les roches rouges de l’Esterel, sa deuxième saison méditerranéenne mérite mieux encore. Jacques Maximin, un de ses premiers fans, en est convaincu et ne tarit pas d’éloges : « Sacré cuisinier ! ».

Une visite au menu dégustation témoigne en effet du talent de cet amalfitain parti à la conquête de la Riviera. Chaque plat, jusqu’au plus audacieux, est construit et délicat. La seiche en « tagliatelles » est coupée finement, caviar de hareng fumé, pointes avocat et wasabi, ragoût tête et foie dans une crème d’ail et huile de tomate. La légèreté même.


Le denti maturé est cuit au barbecue japonais, courgettes farcies et pistes de calamar, sauce au beurre blanc fumé et safran de Provence. Devenu signature, le tourteau breton est posé sur son « rocher », quenelle de caviar osciètre (Maison Kaviari), gyosa (ravioli japonais farci au tourteau), livèche et consommé de tourteau. Une aventure à lui seul.
Les gambas carabineros, écailles de corail, spaghetti de rhubarbe et baie de goji, vinaigrette de bisque au tozatsu, gelée d’hibiscus et crevettes camarones, quelle Espagne ! Et puis ce barbecue terrien, le carré de veau cuit avec une sardine fumée, porchetta de veau et navets blancs, sauce vin jaune…

Francesco Fezza est désormais sur une ligne de crête où l’exigence et l’épure convertissent à jamais ou laissent sur la faim. Il a changé l’approche, supprimé la carte et propose en cinq dîners et trois menus une évasion réfléchie qui ne laisse aucun doute sur la cuisine subtile qui grandit cet hôtel. Un séjour au Japon l’avait converti à sa culture et à son raffinement mais son registre n’est pas étiquetable « japonisant». Il est autant méditerranéen, terre et mer, et avance plus libre encore cette saison. «En Italie, j’ai acquis la gourmandise, en France le respect du produit et au Japon les techniques de conservation et de fermentation », confie-t-il.


Sa cuisine n’est pas celle d’un solitaire mais d’un chef ardent et sensible qui ne dévie pas de sa route, demande le soutien total de son équipe (1) et l’adhésion de cette nouvelle adresse. C’est le cas tout particulièrement à l’instant des desserts avec Kevin Daraud, pâtissier de 25 ans, chercheur passionné, à la même exigence et la même émotion, réussissant un tapioca riz au lait, glace verveine, émulsion kalamansi et kumquat et un artichaut « feuille à feuille » cuit dans le sucre muscovado, vanille de Tahiti, glace café blanc et crumble café.

Art de la nuance, harmonie des accords, notes marines ou végétales, sucs et cuissons, sens du détail, maîtrise, émotion… avec Francesco Fezza, Mareluna ouvre des voies nouvelles qu’il faut découvrir cet été. Qu’en dira le guide Michelin ? Du bien, on l’espère mais qu’importe ce calendrier puisque le temps joue en faveur de ce cuisinier entier et chaleureux, électron libre au bel avenir et formidable pêcheur d’étoiles.
(1) Anthony Vital, directeur de salle, Lucie Segain, chef de rang, Félicie Szczepaniak, sommelière.
Mareluna, Château de Théoule, 55 avenue de Lérins, Théoule-sur-Mer. Tel. : 04 22 46 04 45. Ouv. le soir seul. de mardi à samedi. Fermé dimanche, lundi. Menus 165 € six plats, 195 € huit plats et 125 €, végétarien 6 plats.

