Attention au mot bistrot, il est à manier avec prudence, à haute teneur en zinc, nappes à carreaux Vichy, brèves de comptoir et «verres de contact» (1)… La Cave, qu’on a parfois cantonnée dans cette catégorie, mérite mieux. Les cannois ont aimé le restaurant de Marc Berrut et de son fils Roman, table aux trente ans de carrière où mijotait la cuisine des familles et portait beau ses ravioles au jus d’agneau, son «chou farci Mamie Jeanne» et une carte des vins aussi riche que la Caverne d’Ali Baba sans les 40 Voleurs.
En 2016, Pascal et Alison Sucheta reprennent l’adresse, se gardent de toute révolution et l’actualisent avec bonheur. Salle rénovée, boiseries, banquettes, miroirs, terrasse élégante, La Cave a aujourd’hui bien grandi. Pascal, ancien, notamment, de Roger Vergé, Jacques Chibois et Alain Ducasse, de l’Eden Roc et de La Petite Maison de Nicole au Majestic, est un pro du métier, il accueille avec chaleur et a désacralisé la carte des vins, désormais ouverte aux cuvées bio et nature. On est dans un lieu de ralliement où l’eau peut manquer, pas les bonnes bouteilles, notamment en Languedoc et Vallée du Rhône, Gramenon, Peyre Rose, Château des Tours «Domaine Rayas», Côte Rôtie de Jean-Michel Stéphan, chardonnay ou carignan du Domaine des Accoles en terroir d’Ardèche…
La cuisine, en retrait, est étonnamment calme, on entendrait un papillon voler. Alison y donne le tempo, fine silhouette vêtue de noir, aux gestes précis et délicats d’une autodidacte de charme passée de l’univers pharmaceutique au plaisir de cuisiner, sa passion d’enfance. A l’ardoise, encadrée comme un tableau de maître, elle a conservé les classiques maison mais les accompagnements sont de sa main, selon le marché et l’inspiration du moment. C’est la sagesse même.
La purée qui escorte la souris d’agneau confite est fumée, au poivre, à l’estragon, le gratin dauphinois peut être truffé ou aux poireaux, comme Chez Allard, le bistrot de Saint-Germain des Prés revu par Alain Ducasse, le foie de veau vénitienne est servi avec une polenta crémeuse… cette cuisine est vivante et non récitée, simplement sur le goût, presque insolite de légèreté : tatin de tomates, incontournables ravioles du Dauphiné sauce pecorino, calamars et encornets persillade, épatant duo de ris de veau et rognons, sauce morilles, escargots «gros gris» de Véronique Thirion à Villars sur Var ou encore des profiteroles, sauce au chocolat chaud, à se damner. Une gastronomie façon bistrot, si l’on veut…
Sur la Côte d’Azur où flambe le bistronomiquement correct, La Cave préserve ainsi l’essentiel. Table du bien manger et du savoir boire, elle rassure et réconforte. Elle est mon coup de coeur gourmand de ce début d’année.
- Citation «apéritive» de l’écrivain Antoine Blondin tirée de «Monsieur Jadis ou l’École du Soir»
9 Bd de la République. Tél. 04 93 99 79 87. Env. 50/70 €. Fermé dimanche et à déj. lundi et samedi.