Il est toujours intéressant de voir comment une gastronomie se comporte sur un front de mer aux tables moins talentueuses mais habiles à durer. Ou plutôt comment elle résiste. A Cros de Cagnes, quelques adresses ont tenté de se faire une place au soleil en pariant sur son pouvoir de séduction. On a connu le Bistrot de la Marine, la dernière maison du grand Jacques Maximin. Puis La Table de Kamiya, à l’ombre d’un pin géant ancré à même la salle vitrée, dont la cuisine précise et délicate s’approche de l’étoile. Et voici L’Agapè, ouvert en novembre dernier, donc toujours à l’heure de l’espoir.
Agapè, le mot tient du grec ancien et parle d’amour divin. Une explication de texte risquerait de mêler Dieu au menu du marché et çà ferait désordre. Un parchemin posé sur chaque table vous en dira plus sur son sens profond. Simplement, Morgane David et Guillaume Winterstein ont transformé une ancienne pizzeria en un restaurant plus ambitieux. Quelques tables en terrasse sur le front de mer, une salle où le blanc et le vert dominent, un chef chevronné en cuisine et une attention d’une rare courtoisie tout au long du repas… tout est calme et discrétion. C’est L’Agapaix.
Voilà une adresse au petit format qui mérite comme on dit. Pour l’accueil souriant de Morgane, passée par de belles maisons, l’Hôtel Métropole à Monaco, La Bastide Saint-Antoine de Jacques Chibois à Grasse et Le Figuier de Saint-Esprit de Christian Morisset à Antibes. Pour la cuisine en solo de Guillaume Winterstein, ancien du lycée Paul Augier à Nice, passé par l’Hôtel AC Marriot à Juan-les-Pins et formé auprès de chefs étoilés de la région (Jacques Chibois, Alain Llorca, Jean-Denis Rieubland, Christian Morisset) qui lui ont transmis l’amour du travail bien fait et la quête de style. Un chef qui a encore le feu sacré, on prend !
Aux alentours de midi, quand bien des menus négligés s’éveillent, découvrir ses plats traditionnels remis au goût du jour, une expression plus contemporaine, la carte attentive au mouvement des saisons et l’exigence du produit (à commencer par le pain de Jean-Paul Veziano) vous met de bonne humeur. La gastronomie de L’Agapè tient à ces détails. A l’instant des amuse-bouche, un bouillon parfumé, préparé en fonction du marché, appelle à la légèreté. Le menu du déjeuner propose deux entrées au choix, joliment nuancées, comme l’œuf parfait, velouté de petits pois primeur ou une raviole de volaille «Terre de Toine» (du village de Pierlas en haut-pays niçois), bouillon de légumes et miso d’orge.
Le beau jeu vient au menu découverte (45 €) avec une composition tout en finesse, la tatin d’asperges vertes et blanches de Provence, réduction d’orange et jus de carottes, relevée au vinaigre balsamique. Une palette de saveurs. En plat, la pêche du jour, petits pois cuits à la française, lard fumé, jus de morilles comme une blanquette. Puis l’agneau de lait de Sisteron en trois façons, selle farcie de blettes, gigot masqué au miso, carré parfaitement cuit au sautoir, gnocchis de pommes de terre à la truffe. Enfin un biscuit madeleine et rhubarbe, cuit dans un sirop de poivre de Timut, fraises de Carros (chez Christophe Ferraro) au vinaigre de malt, comme un trait léger soulignant une addition clémente.
On peut parler sans médire d’une gastronomie ciselée, du dressage acéré de l’assiette, d’un service attentioné, «à l’ancienne ». C’est ce qui distingue cette maison de bien d’autres sur la longue Promenade où on aime s’attabler, côté ville et côté plages, mais pas toujours pour la bonne cause. Cette adresse-courage réconforte une clientèle qui juge primordial le geste du cuisinier (seul aux fourneaux, rappelons-le), moins indispensable une terrasse au soleil et qui comprend certaines attentes à table. Elle existe, résiste elle aussi et ses partisans se sont déjà passé le mot : «découvrez L’Agapè !».
L’Agapè, 48 Promenade de la Plage, Cros-de-Cagnes. Tél. 04 97 10 37 41. Menus 29 € et 35 € (au déjeuner seulement). Menu Agapè en 5 services 45 € et menu Épicurien, 7 services 69 €. Fermé lundi, mardi.