D’ordinaire, la rue Barillerie est du genre couche-tôt. A deux pas du cours Saleya, elle est l’une des plus discrètes du Vieux Nice et vit sans problèmes en coulisses quand son voisin occupe le devant de la scène. Mais le 12 décembre au soir, au 5 de la dite rue, «Le Panier» de Marie Lacoue et Aurélien Martin, oubliait le jeu stérile de la notoriété et fêtait ses cinq ans de belle et bonne cuisine en interprétant avec David Graziani un étincelant dîner «à quatre mains».
Aurélien, rompu à une gastronomie sans frontières et aux escales, proches ou lointaines, souvent étoilées (Suisse, Australie, Nouvelle-Zélande, Montréal, Nice (Le Negresco), Eze-Village (Château de la Chèvre d’Or), propose ici une cuisine subtile toujours dans l’avancée. David Graziani, autodidacte expert en recherches et audaces, joue le terroir à quitte ou double à Gattières, Nice, Cagnes-sur-Mer, Massoins… et bientôt à Cannes (1). Un pur créatif, tout en émotion et dépassements et toujours disponible pour de nouvelles aventures.


Ce soir de « première » pour le Panier j’ai retrouvé une adresse pouvant prétendre à l’étoile si le guide Michelin explore plus avant le Vieux Nice. Marie et Aurélien, leur équipe vive et attentionnée, une gastronomie cohérente et non clivante, un lieu réparti en deux espaces avec cuisine ouverte au cœur du premier… à fleur de rue ou à l’étage, voilà une table chaleureuse dont j’aime l’atmosphère et l’indépendance d’esprit.

La preuve avec ce rendez-vous d’anniversaire, défi culinaire sans course à l’ego, au menu rythmé en sept à huit séquences joliment intitulées : « préliminaire comestible, parole de canard, chasse gardée, le silence des camemberts… » Autant de jeux de mots drôles mais pas frivoles, pour une poétique de saveurs ouvrant l’appétit dès les premières bouchées. La langoustine crue, gel cébette, consommé shimeji et shiitake, puis des Saint-Jacques crues voltigeant terre-mer, orient-occident, gels, épices et fermentations, de la sauce au nuoc man d’anchois jusqu’au zeste agrume et truffe. Enfin cette trilogie séduisante, avec un foie gras en gelée de kimchi, moins la façon bao poêlé, chinoiserie vapeur plus lente à la détente, mais bien campé le cannelloni de chou rouge fermenté.


A qui la préférence? Ce n’était pas le sujet. Ici David, là Aurélien, l’un avec un cabillaud, poireaux confits et brûlés à la torche, droit devant sur une mer mosaïque, crémeux citron, émulsion de Saint-Jacques, écrevisse. Le second proposant un pavé de chevreuil et purée de trompettes de la mort, plat terrien d’exacte cuisson, un «chasse gardée» pour les intimes, livré en deux assiettes dont un cromesqui de chevreuil et gnocchis à la farine de châtaigne. Joli parcours souligné par les accords mets-vins choisis par Marie avec sûreté et donnant un bel aperçu de la carte qu’elle a construite sans le moindre diktat « nature ».


Entendons-nous bien, un quatre mains n’est qu’une esquisse, pas toujours réussie. J’ai longtemps pris cette démonstration pour un moment un peu baroque, un show rassemblant des convives pour passer une saison creuse. Quelques plats pour quelques billets de plus, c’est humain mais conduit rarement à un sommet de gastronomie. Voilà qui suffit pour le côté rabat-joie car ces rendez-vous ouvrent sur d’autres talents et d’autres gastronomies. On compare, on s’évade, on peut même s’émerveiller.

Alors il faut choisir, éviter les menus en manque de recherche, déceler les moments festifs, le plaisir, le produit, la découverte… L’important est qu’un menu soit sincère, authentique, fou mais non improbable, qu’il bouscule les conventions et vous emporte à toutes allures vers un happy end. Ce fut le cas pour les cinq ans du Panier terminant avec un espuma de camembert, malicieux et gourmand, signé David, et un parfait au chocolat, crémeux café-tonka et autres arabesques, dessert culte d’Aurélien bouclant la boucle ouverte par des amuse-bouche bien pensés (l’huître pochée, céleri fermenté, sauce au champagne, vive l’iode et les bulles ! ).

Ce 12 décembre, deux chefs se mesuraient en toute complicité et à deux pas des terrasses du Cours Saleya on partageait leur quatre mains élégant, fugueur, voyageur et tout simplement maîtrisé. Alors que des vents contraires menacent la restauration, on oubliait ce qui fâche pour ne retenir que l’instant créatif en se promettant de visiter David Graziani dans sa nouvelle escale et de découvrir la gastronomie peut-être étoilée de Marie et Aurélien au cœur du Vieux Nice.



(1) Hôtel Croisette Beach Cannes, 65 Boulevard de la Croisette. Tel. 04 93 94 56 36
Le Panier, 5 Rue Barillerie, Nice. Tél.: 04 89 97 14 37. Menus 47 € à déj. (4 escales). Le soir, 69 € et 79€ (5 et 7 escales). Ouvert à dîner jeudi et vendredi ; à déj. et dîner sam., dim et lundi. Fermé mardi, mercredi.
