L’édition 2021, réalisée en seulement sept mois d’inspections, a-t-elle la même valeur que les précédentes? Discutable… Alors que le virus impose sa loi et menace le monde de la restauration, le guide rouge s’érige en rempart et joue la carte des chefs les plus explorateurs.
Un palmarès sans cérémonie, accolades ou effusions entre chefs, qui l’aurait imaginé il y a encore un an ? Certainement pas la direction du guide Michelin dont chaque annonce aux étoiles est aussi attendue par le monde de la restauration qu’une bénédiction du pape, place Saint-Pierre. Une pandémie plus tard, le guide a rendu la sienne depuis la Tour Eiffel, en distanciel et en digital, alors que les restaurants sont encore fermés et pour beaucoup en détresse. Etrange atmosphère pour une édition singulière et tenue coûte que coûte…
«Nous avons voulu continuer à promouvoir la combativité, le courage et le talent de nos cheffes et chefs, de valoriser leurs producteurs de proximité», a déclaré Gwendal Poullennec, directeur international. S’il est difficile de reprocher au guide cette démonstration de solidarité dans une période aussi critique, on peut s’interroger sur la valeur d’inspections effectuées en seulement sept mois d’ouverture des restaurants. Pourtant adepte du temps long, le Michelin parle d’équipes renforcées et affirme qu’une période aussi écourtée n’a rien compromis. On peut l’admettre pour l’attribution d’une troisième étoile, beaucoup moins pour un suivi général. Pourquoi, alors, tant d’années à juger, promouvoir et sanctionner si sept mois à peine ont suffi ? Beaucoup parlent d’injustice (45 étoiles supprimées) mais la profession serre les rangs. Une année sans le soutien du guide rouge (1) serait inenvisageable et Michelin au temps du Covid reste Michelin, en perte de vitesse mais incontournable dans la reconnaissance d’un chef, d’une maison, parfois de l’investissement d’une vie.
L’instant Mazzia
La troisième étoile à Alexandre Mazzia dans son restaurant AM à Marseille, échappe, elle, à ce débat (2). Pour avoir été l’un des premiers à le découvrir en 2010, quand il était chef du «Ventre de l’architecte» à la Cité radieuse de Le Corbusier, je reconnais un talent atypique, artistique, incandescent à cet ancien de Martin Berasategui, Michel Bras et Alain Passard. Un explorateur d’émotions qui n’a pas fini de créer et de surprendre et pour Marseille, un deuxième 3 étoiles au côté de Gérald Passédat au Petit Nice.
Gault&Millau d’abord, Michelin ensuite (1 étoile en 2015), l’ont adoubé. Sa consécration est de même nature et plus rapide encore que celle de Mauro Colagreco au Mirazur à Menton (1 étoile en 2007, 3 en 2019).
Elle entérine sa cuisine de l’instant et confirme l’orientation du guide, désormais propriétaire du Fooding, en faveur de chefs novateurs voire déstabilisants, au détriment d’autres, aussi créatifs mais jugés plus académiques. L’expérimental ou l’expérience, jeunisme ou conservatisme, talents iconoclastes ou tenants d’une «cuisine cuisinée»… la guerre des anciens et des modernes est décidément toujours d’actualité.
- Le guide (24,90 €) sera en vente jeudi.
- Deux étoiles seulement ont été attribuées à Hélène Darroze (Le Marsan) et Cédric Deckert (La Merise).
Côte d’Azur : la percée des 1 étoile
Sur la Côte d’Azur, le guide Michelin a récompensé la base plus que l’élite. On attendait une ou deux promotions à deux macarons et ce sont cinq nouveaux 1 étoile qui ont été récompensés. A Nice, la bistronomie fringante et créative des Agitateurs, ouvert au printemps 2018 par trois associés, Juliette Busetto, Samuel Victori et Pierre-Jean Arpurt, délivre une cuisine épatante d’imagination, judicieusement étoilée.
A Saint-Tropez, Yves Colinet apporte style et sens du produit à Colette, la table de l’Hôtel Sezz. A l’Eden Roc (Cap d’Antibes), sous le conseil d’Eric Fréchon, Sébastien Broda s’inscrit en valeur sûre dans les pas d’Arnaud Poëtte, à qui il devrait succéder au Louroc et avec l’excellent pâtissier Lilian Bonnefoi.
A Théoule, Alain Montigny, venu de L’Oasis, offre son étoile de Meilleur Ouvrier de France à L’Or bleu et à Monaco, La Table d’Antonio Salvatore réveille l’institution Rampoldi avec sa cuisine d’émotion.
Il faut noter aussi l’étoile parisienne de Sébastien Sanjou au 33, de l’Hôtel particulier Villeroy, qui fait écho à celle du Relais des Moines, son restaurant étoilé des Arcs-sur-Argens, l’étoile verte de gastronomie durable au Jardin de Berne à Lorgues et les Bibs gourmands de Beam ! (Toulon) drivé avec audace et naturel par Arnaud Tabarec et de l’excellent Davia (Nice) de Pierre Altobelli, qui aurait mérité une étoile du terroir.
Vanessa, vin sur vin
Enfin, retour à la bistronomie niçoise, également reconnue avec le prix du Meilleur Sommelier pour Vanessa Massé à Pure & V, table discrète où la Méditerranée est vue sous l’angle nordique (le chef est danois), avec une attention extrême au produit et l’engagement sur les vins nature de Vanessa. «Pour moi qui ai découvert la passion du vin à 16 ans, l’émotion est très forte. C‘est la preuve que les choses commencent à changer, qu’on peut amener le client vers un beau produit, l’intéresser à l’humain, à la vérité du vin, au travail du vigneron», a confié cette sommelière cultivée et au caractère bien trempé.